Les trois parcs français cherchent comment dénoncer l’arrêté de Ségolène Royal qui interdit la reproduction des dauphins et des orques en captivité.
Article de Audrey Garric pour Le Monde
Salto arrière, révérences et plongeons synchronisés. Pendant vingt minutes, Galeo, Peos, Amtan et les autres enchaînent les pirouettes sous les yeux ébahis d’un public conquis. Les huit dauphins de la «cité marine» sont l’une des attractions phares du parc zoologique Planète sauvage, à Port-Saint-Père, près de Nantes (Loire-Atlantique), qui compte 1 000 animaux et accueille 280 000 visiteurs par an depuis 2009.
Dans les bassins, les mammifères conduisent leurs soigneurs par leurs nageoires dorsales, avant de les élever au-dessus de la surface de l’eau, sous des applaudissements nourris. La musique rythmée laisse alors place à un message d’une tonalité bien plus politique : « Une pétition circule dans les gradins. Elle dénonce un arrêté qui va à l’encontre du bien-être des dauphins que vous venez de voir. »
Pétitions
Le texte incriminé est celui signé par l’ancienne ministre de l’environnement, Ségolène Royal, le 6 mai, à la veille du second tour de l’élection présidentielle. Au tout dernier moment, sans en informer les associations de protection animale ni les professionnels du secteur avec lesquels elle travaillait depuis vingt-deux mois, elle a glissé dans le nouvel arrêté un changement majeur : l’interdiction de la captivité des dauphins et des orques à l’exception de ceux actuellement détenus sur le territoire – ce qui implique de mettre un terme à la reproduction de ces cétacés – et des échanges avec d’autres bassins. Ce qui signifie, à terme, l’arrêt des delphinariums dans le pays.
La disposition a déclenché une tempête dans les trois parcs de l’Hexagone concernés, qui accueillent vingt-six grands dauphins et quatre orques : le Marineland d’Antibes (Alpes-Maritimes), le plus grand d’Europe avec un million de visiteurs par an, le parc Astérix (Oise) et Planète sauvage. Depuis, ils mènent la fronde. Pendant que leurs avocats réfléchissent au moyen de dénoncer l’arrêté, les établissements, « choqués » et « très en colère », mobilisent leur public. Deux pétitions de soutien ont été signées par 9 500 personnes.
A la fin du spectacle de Planète sauvage, Emilie, 33 ans, et Maëla, 26 ans, paraphent sans hésiter, car « ça se voit que les animaux s’éclatent, qu’il y a une belle complicité avec les soigneurs ». Seul Philippe, un transporteur routier de 56 ans, se dit que les cétacés « seraient mieux dans leur milieu naturel ». « C’est comme si on nous mettait dans une cage », compare-t-il, avant d’ajouter qu’ils « n’ont pas l’air malheureux. »
« Les bassins vont devenir une prison »
S’il se porte « garant du bien-être » de ses dauphins, le responsable scientifique du parc, Martin Boye, juge en revanche que l’arrêt de la reproduction va « leur porter préjudice ». « On leur retire une partie de leur répertoire naturel, une forme de stimulation », explique-t-il, car « il y a beaucoup de comportements sexuels entre dauphins ».
« Cet arrêté attaque les animaux au lieu de les protéger. Les bassins vont devenir une prison, et les soigneurs des matons », abonde Jon Kershaw, le directeur zoologique de Marineland, le seul à détenir des épaulards, en plus de ses onze grands dauphins. Comment éviter leur accouplement ? Les parcs marins ne le savent pas encore. Hors de question de les castrer, car l’anesthésie générale serait trop risquée. Restent la contraception et la constitution de groupes séparés de mâles et de femelles, « ce qui n’est pas raisonnable pour leur vie sociale », juge-t-il.
Le nouvel arrêté, qui abroge une législation de 1981 devenue obsolète, prévoit de nombreuses autres mesures que les delphinariums devront adopter : une augmentation de la taille et de la profondeur des bassins, des enrichissements (courants, vagues, cascades…) et la présence de zones d’ombre, l’interdiction du chlore, ainsi que la fin de l’échouage des animaux pour les spectacles et des contacts directs entre le public et les cétacés – une activité lucrative.
Les parcs vivement critiqués
« A l’origine, l’arrêté était de très haut niveau, et nous permettait d’améliorer notre image. Jusqu’à ce que Ségolène Royal décide, seule, de tout remettre en cause avec l’interdiction de la reproduction. Là, ce n’est plus acceptable », s’insurge Jon Kershaw. Pour Marineland, la survie s’avère des plus précaires du fait de sa spécialisation dans les cétacés.
Mais les parcs font également face à des critiques toujours plus vives. Alors, les soigneurs expliquent leur travail, dans des termes choisis. Ils ne « dressent » pas les animaux pour des « spectacles », mais « renforcent » leurs « pensionnaires » lors de « présentations ».
« On utilise une sensation agréable pour guider l’animal et lui apprendre à renouveler le comportement que l’on attend », explique Candice, 31 ans, l’une des dix soigneuses de Planète sauvage, vêtue de sa combinaison noire. Si le dauphin a réussi l’un des 150 à 200 comportements enseignés, un coup de sifflet indique que le soigneur est satisfait.
Arrive ensuite la récompense : du poisson, des glaçons, des jouets ou des caresses, « selon ce qu’ils aiment ». Mais quoi qu’il arrive, assure-t-elle, l’animal a toujours sa ration de harengs, de merlans ou de sardines : « On ne les affame pas, il n’y a pas de contrainte. Les dauphins qui ne veulent pas s’entraîner, on les laisse tranquilles. » La jeune femme vit son métier comme une « passion » : « On aime nos animaux, on fait tout pour eux. »
Appel d’Hulot à « en finir avec les delphinariums »
Si Christine Grandjean, la présidente de C’est assez !, une ONG spécialisée dans la lutte pour la fin de la captivité des cétacés, ne doute pas de cet attachement, elle déplore en revanche que les parcs « récupèrent l’argument du bien-être des dauphins ». « On les fait se reproduire avec des partenaires non choisis, puis on les sépare de leur progéniture pour la mettre dans un autre parc afin d’éviter la consanguinité, rétorque-t-elle. Dans la nature, les animaux peuvent bouger d’un groupe à l’autre, mais c’est leur choix. »
A ses yeux, l’argument de la pédagogie et de la conservation avancé par les parcs ne tient pas, car l’espèce Tursiops truncatus n’est pas menacée. « Tout ça pour faire perdurer une industrie, c’est indécent. »
Dans ce débat, les delphinariums avancent que les dauphins vivent en moyenne trente ans en bassin en Europe et aux Etats-Unis, soit plus longtemps que dans la nature. Les ONG, de leur côté, ont calculé que sept dauphins sont morts depuis janvier 2015 en France et que l’âge moyen de décès, depuis la création des delphinariums hexagonaux, était de 14 ans.
C’est assez !, qui a aussi lancé une pétition – forte de 20 000 signatures – pour défendre l’arrêté, appelle la France à fermer ses parcs, comme l’avait fait le Royaume-Uni dans les années 1990, et à « rendre leur liberté aux cétacés dans des sanctuaires marins ». « Cette vision romantique ne fonctionnera pas », balaie Martin Boye. Voici un dossier brûlant de plus sur le bureau déjà chargé du nouveau ministre de la transition écologique et solidaire. Le 20 avril, avant sa nomination, Nicolas Hulot avait écrit sur Twitter : « Notre civilisation ne devrait plus tolérer la captivité des dauphins. Il est temps d’en finir avec les delphinariums. »