Un vent d'espoir souffle
pour les baleines : le gouvernement islandais hésite à renouveler
l'autorisation des quotas de chasse commerciale à la baleine prévue pour 2024.
Suite à la reprise de la chasse commerciale à la baleine
par le Japon en 2019, le déclin de demande de viande de baleine islandaise a
mis en cause la viabilité économique de ses flottes baleinières qui opéraient
depuis 2003.
Malgré l'interdiction de la chasse commerciale à la
baleine en 1986, l'Islande, la Norvège, le Japon et les îles Féroé restent les
seuls territoires au monde à la pratiquer, mais avec de plus en plus de
difficultés.
« Sauf indication contraire, il y a peu de raisons
d’autoriser la chasse à la baleine à partir de 2024 », a déclaré la ministre Svandis Svavarsdottir, membre
du parti de gauche écologiste au pouvoir en Islande. « Il y a peu de preuves qu’il y
a un avantage économique à pratiquer cette activité »,
souligne-t-elle dans une tribune publiée par le quotidien Morgunbladid.
Photo de Svandis
Svavarsdottir
Les quotas de chasse commerciale islandais autorisent 209 prises pour le rorqual commun et 217 pour la
baleine de Minke jusqu'à fin 2023. Toutefois, seul un rorqual commun a été
harponné au cours des trois dernières saisons estivales. Faute de demande, les
deux principales entreprises détentrices de licence sont à l'arrêt, et l'une
d'elles, IP-Útgerd, avait annoncé au
printemps 2020 l'arrêt définitif de ses activités.
Une prise de conscience face
à une industrie devenue inviable
Le déclin de l'activité baleinière islandaise a plusieurs
causes : outre la concurrence du Japon, qui subventionne ses flottes
baleinières, l'extension des zones maritimes islandaises interdites à la pêche
en 2017, grâce à une campagne de Icewhale, rend le harponnage moins rentable
car il doit se dérouler plus au large. Cette extension de zones protégées
favorise également le tourisme et le whale watching : le nombre de participants aux sorties d'observation
des baleines en Islande a augmenté de 15% à 34% par an entre 2012 et 2016. À
Hauganes, village côtier du nord de l'Islande de 137 habitants, le nombre
de touristes faisant du whale watching est passé de 4 000 en
2014 à 17 000 en 2018. Ce boom touristique a conduit à un changement
de l'opinion publique, y compris parmi l'industrie de la pêche. Selon Árni
Finnsson, président de l'Iceland Nature Conservation Association
« l'industrie de la pêche pense que l'Islande doit être en mesure
d'exporter du poisson sur le marché américain et ils ne veulent plus défendre
la chasse à la baleine (…). Le soutien apporté à la chasse à la baleine s'est
affaibli à mesure que les revenus provenant de leur observation ont augmenté. »

Inspired by Iceland (whale watching en
Islande)
Les alertes concernant la toxicité de la viande de baleine
ont aussi accentué le déclin de sa consommation : en 2018, un sondage Gallup commandé par le Fonds international pour la
protection des animaux (IFAW) a révélé que seul 1 % des Islandais mangeaient
régulièrement de la viande de baleine, alors que 84 % d'entre eux
déclaraient n'y avoir jamais goûté. La majorité du marché national était
destinée aux visiteurs étrangers auxquels la viande de baleine était présentée
comme un plat traditionnel.
Le changement
de l'opinion publique accentue le déclin de l'industrie baleinière également en
Norvège, au Japon et peut-être aux Féroé.
Le nombre de navires
baleiniers norvégiens a été divisé par deux entre 2016 et 2017, faute de
pouvoir remplir les quotas accordés par Oslo. En 2021, 575 cétacés ont été
chassés, moins de la moitié des quotas autorisés, par les 14 navires encore en
activité.
Le Japon a restreint
l'activité de ses baleiniers à sa zone maritime, mettant fin à 80 ans de chasse
à la baleine en Antarctique. La cause probable serait la baisse de consommation
de viande de baleine par les Japonais, qui ne consomment plus que 30 grammes
chaque année par personne, générant 4 000 tonnes d'invendus, des stocks
devenant de plus en plus encombrants.
La consternation
internationale générée par le massacre de 1 400 dauphins à flancs blancs aux
Féroé en Septembre 2021 a conduit le gouvernement local féringien à évaluer un
encadrement du Grind, hélas uniquement pour cette espèce.
CCEIT
La chasse à la baleine, un
massacre aux conséquences irréversibles qui a duré trop longtemps
Sur les 80 à 90 espères de cétacés, environ une dizaine
est exploitée pour la chasse.
La chasse à la baleine remonterait à la préhistoire :
ses premiers vestiges ont été trouvés grâce à l'identification de gravures
rupestres de scènes de chasse (potentiellement de baleines grises du Pacifique
Nord) du Ve Millénaire av. J.C. en Corée du Sud. Ce pays avait abandonné la
pratique avec l'arrivée du bouddhisme au VI siècle.
Toutefois, les premières traces historiques généralement
admises sont un poème japonais sur la capture de cétacés antérieur au Xe siècle
et les documents basques de chasse à la baleine du XI siècle. Dans les deux
cas, les baleines décrites étaient de baleines franches (la baleine franche de
l'Atlantique Nord et la baleine franche du Pacifique Nord), particulièrement
ciblées par la lenteur de leurs déplacements et leurs carcasses qui flottent
naturellement en surface (contrairement à celles des rorquals). La chasse traditionnelle
était également un rituel important pour les peuples arctiques, certains
peuples caribéens, vietnamiens et indonésiens.
La Révolution Industrielle a massifié les massacres des
cétacés pour de diverses utilisations : l'huile de baleine était utilisé
comme éclairage public, lubrifiant de machines, margarine, savon ; les os
et la chair comme aliment, engrais et charbon ; les fanons, pour les
baleines (d'où leur nom) de parapluies, ombrelles et de corsets ; le cuir
pour des ceintures, des sangles ; les intestins pour des cordes ;
l'ambre gris du cachalot pour la parfumerie ; la graisse pour les produits
cosmétiques et pharmaceutiques.
New Bedford Whaling Museum
On chassait entre 20 000 et 30 000 baleines par an dans
les années 1920, date à laquelle on a commencé à envisager une convention
internationale sur la pêche à la baleine. Elle ne se concrétisera pas avant
1946, avec la Convention Internationale pour la réglementation de la chasse à
la baleine, qui avait par prétention de permettre la conservation judicieuse de
population de baleines et de réglementer le développement de l'industrie
baleinière. L'une des premières mesures de la convention a eu l'effet
inverse : la détermination des premiers quotas de chasse, et de la BWU (Blue
Whale Unit – Unité de Baleine Bleue) comme équivalence entre les
différentes baleines à fanons en fonction de la quantité moyenne d'huile qui
pourrait en être tirée (1 baleine bleue = 2 rorquals communs = 2,5 baleines à
bosse = 6 rorquals de Rudolphi), a accéléré le massacre des plus grandes
baleines menant leurs populations au bord de l'extinction.
Plusieurs pays ont progressivement abandonné la chasse, et
au moment de l'interdiction de la chasse commerciale à la baleine par la
Commission Baleinière Internationale en 1986, seuls le Japon et le URSS
continuaient d'en chasser en Antarctique. Par la suite, l'Islande s'est opposée
au moratoire en 2003 pour réactiver la pêche à la baleine (à l'exception des
baleines bleues) et le Japon, qui continuait la chasse à « des fins
scientifiques » s'est retiré de la Commission Baleinière Internationale en
Décembre 2018 pour reprendre la chasse commerciale en juillet 2019.
Selon les scientifiques, aucune des espèces de baleines
chassées n'a retrouvé le volume de population d'avant le XIXe siècle : la
pêche accidentelle, les collusions contre des navires, la pollution chimique et
sonore, le manque de nourriture à cause du changement climatique, limitent les
effets de l'interdiction de la chasse commerciale et de la création des sanctuaires
marins. La chasse a aussi détruit leurs cultures, transmise de génération en
génération. Certaines espèces de grande longévité comme les rorquals communs
évitent encore les anciennes zones de chasse.
Eco2drew
Or, les baleines ont d'importants rôles à jouer : si
on rétablissait leurs populations à leurs niveaux naturels, elles pourraient
limiter le changement climatique : leurs carcasses et leurs excréments
absorberaient 1,6 x 105 tonnes de CO2 (36 bus en termes de CO2 par
jour) pour nourrir les organismes des fonds marins. Elles stabilisent également
les chaînes alimentaires et la reproduction d'autres spèces marines.
Les baleines ont aussi des rôles économiques à jouer, plus
chers pour nos politiques : on estime que le whale watching responsable
peut générer 413 millions de dollars annuels en revenus pour le tourisme marin.
L'étude scientifique de cétacés ont également permis d'importantes découvertes
et avancées concernant écholocation, l'intelligence des mammifères marins,
l'équilibre biologique des océans.
Sources : Le Monde, Sciences et Avenir, National
Geographic, CBI, Whale facts, Philip Hoare pour The Guardian