C'est assez

Vers la fin programmée des delphinariums (Le Figaro)

Article du journal Le Figaro, publié le 19 juin 2017

Spectacle de dauphins au Marineland d’Antibes. 
ENQUÊTE – Un arrêté interdit désormais la reproduction des animaux en captivité. Cette mesure, signée par Ségolène Royal, ex-ministre de l’Environnement, entraînera de facto la disparition des zoos aquatiques.
Les noms qu’ils portent – Tux, Lotty, Sharky, Malou, Rocky, Dam… – désolent les associations de défense des animaux. Ces appellations incarnent, en effet, le sort qui est réservé à des centaines de dauphins et orques à travers le monde. Loin du grand large, ces mammifères marins sont parqués dans des bassins, sous la férule de l’homme. Au nombre d’une trentaine en France, la plupart n’ont d’ailleurs jamais connu la liberté. Nés en captivité, ils ne devraient connaître que les parois de leur bassin.
Mais cette vie va cesser. Avant de quitter le ministère de l’Environnement, Ségolène Royal a donc sorti de son chapeau un texte qui a pris de court tout le monde. Après des mois de travail ponctués de réunions, parcs animaliers et associations s’étaient entendus sur une amélioration significative du sort de ces mammifères, qui dépendait d’une ancienne réglementation de 1981. Or, l’ex-ministre est allée plus loin en ajoutant au dernier moment une ligne au document. 
Ces quelques mots ont foudroyé les responsables des delphinariums car ils annoncent tout simplement la fin de ces établissements. « La reproduction des orques et des dauphins actuellement détenus est désormais interdite. Ainsi, seuls les orques et les dauphins actuellement régulièrement détenus peuvent continuer à l’être, sans ouvrir à de nouvelles naissances », est-il écrit dans cet arrêté publié le 6 mai dernier.

Des petits arrachés aux mères

Les associations elles-mêmes n’avaient pas envisagées pareille avancée. 
« D’ailleurs les nouvelles dispositions tardaient à sortir et on se disait même que le dernier quinquennat allait s’achever sans aucun progrès dans ce domaine » relate Christine Grandjean, de l’association C’est assez !, cheville ouvrière du combat contre la captivité de ces animaux. Quand l’arrêté est sorti, ce fut donc aussi la stupéfaction. Et la joie aussi.

Ainsi cet arrêté signe la mort des 3 delphinariums du pays. Une fois que les animaux disparaitront, il en sera fini de ces lieux, le texte prohibant l’importation et la reproduction. Pour Christine Grandjean, cette issue est la meilleure qui soit tant le sort de ces espèces y est terrible. La captivité est en soi, selon elle, un acte de maltraitance à laquelle s’ajoute kyrielle de mesures qui mettent en péril le bien-être et la vie des mammifères. Ainsi, le chlore utilisé dans les bassins abîme leurs yeux, l’échouage – clou des représentations – comprime les poumons, la musique assourdissante plonge les cétacés à l’ouïe particulièrement fine dans un monde cacophonique. En l’absence de végétation couvrant les bassins, le soleil brûle les peaux, le sort des petits arrachés au mère crée un terrible traumatisme au sein de ces communautés animales qui ont le sens de la famille.

Ce nouvel arrêté, qui aménage la vie de ces structures jusqu’à leur fermeture, tient compte de la plupart de ces griefs. De nouvelles règles sont à respecter. Outre des bassins plus grands et plus profonds, ces dernières prescrivent la fin de l’échouage, du toucher des animaux par le public, de l’usage du chlore et l’obligation de zones d’ombres. 
Les responsables des centres aquatiques apparaissent aujourd’hui comme des bourreaux auprès d’une partie de l’opinion publique. Avec courage, Jon Kershaw accepte de défendre son centre, Marineland, à Antibes, le plus grand parc marin européen avec ses 11 dauphins et ses 4 orques. En ce mercredi après midi, un spectacle pédagogique a lieu dans l’un des bassins. Deux dauphins qui jonglent avec des quilles répondent aux gestes de Deborah, soigneur animalier. Séparés par un muret, des enfants ont revêtus une combinaison pour être dans l’eau avec eux. 

Dans un bassin voisin, sur fond de musique grandiloquente avec des écrans géants qui retransmettent les images, c’est le show des orques. Ces animaux stupéfiants font sauts et cabrioles, traversent en un instant leur bassins sous les applaudissements des spectateurs.

Jon Kershaw, cet anglais de 63 ans devenu directeur zoologique, est fier de son centre, qui appartient au groupe espagnol Parques Reunidos, spécialisé dans les parcs animaliers et de loisirs. Ces 25 hectares bien entretenus sont l’aboutissement de dizaines d’années d’expérience, ponctués de tâtonnements et même d’erreurs. « J’ai commencé dans les années 70, et toutes les conneries, en fait, je les ai faites, admet-il. Mais il y a plus de 40 ans, on ne connaissait rien de ces animaux. J’ai commencé en Angleterre, pays pionnier qui ouvrait les premiers parcs. »
Cette période était l’âge de pierre pour les mammifères confinés, dit-il, « dans des flaques », où l’on parlait de « dresseur et non de soigneur animalier », où les montreurs d’animaux faisaient même des spectacles ambulants avec les dauphins. « Pour obtenir obéissance, c’était l’époque aussi où l’on faisait miroiter le seau de poissons », ajoute-t-il. Au fil des ans, la littérature vétérinaire sur ces mammifères s’est étoffée et les psychologues ont fait leur entrée dans les zoos aquatiques.

Aujourd’hui, ce directeur zoologique réfute toute forme de maltraitance. « On n’intube pas nos dauphins, comme on le dit, pour les hydrater, on ne les affame pas pour les contraindre à obéir* », assène-t-il encore en poursuivant : « On nous a même accusés de peindre nos cétacés pour dissimuler des plaies ! On peut être opposé à la captivité, mais on ne peut pas dire n’importe quoi. » Pour Deborah, jeune femme de 26 ans aux grands yeux bleus, cette période est aujourd’hui difficile à vivre. Devenir soigneur animalier était son rêve. Mais en ville, elle tait désormais son activité. A ce stade, les centres aquatiques n’ont pas l’intention de disparaître sans tenter de se battre, peut-être devant les tribunaux. Sollicité par Le Figaro, l’avocat de Marineland n’a pas souhaité s’exprimer sur un éventuel recours contre l’arrêté. Mais les responsables de la protection animale le redoute. Président de l’Association Française des Parcs Zoologique, Rodolphe Delord, par ailleurs responsable du parc animalier de Beauval, est décidé à défendre sa profession. « Les zoos, en France, c’est 20 millions de visiteurs dont 1 million pour Antibes. Outre ce poids économique important, ces structures favorisent la sensibilisation du public à l’égard d’espèces parfois menacées », explique-t-il en ajoutant : « Il y a longtemps qu’il n’y a plus de captures en milieu naturel et tout se passe désormais par le biais d’un programme d’élevage en Europe où l’on dénombre 280 dauphins. » Pour Jon Kershaw « ses » mammifères sont, selon lui, les ambassadeurs de leurs congénères sauvages. S’ils disparaissent un jour de notre vue, on les défendra moins », met-il en garde. Aujourd’hui, ces cétacés ne sont pas globalement menacés même si certaines communautés sont inquiètes de l’emprise de l’homme sur les océans.

Condamnés en quelques sortes à jouer

Reste une question : ces animaux sont-ils heureux? Les chercheurs ne se risquent pas à une réponse tranchée. Directeur de recherche au CNRS du centre d’études biologiques de Chizé (Deux-Sèvres), Christophe Guinet met surtout en avant l’obligation de combattre l’ennui de ces animaux, qui est, dit-il, « la pire des choses ». En remplacement du grand large où ils parcourent chaque jour des kilomètres, le dauphin et l’orque doivent être sollicités en permanence. 
Condamnés en quelques sortes à jouer. Les spectacles qui pourraient passer pour shows navrants participent ainsi à leur bonne santé mentale. Même en dehors des représentations devant le public, l’animal doit-être occupé. « Il faut inventer des jeux, les surprendre », relate Deborah. Mais ce qui inquiète aujourd’hui le chercheur qui a étudié ces espèces est l’interdiction de reproduction imposée par le nouvel arrêté. « Il n’existe pas de contraceptif naturel et le seul moyen de respecter la règle est d’imposer une séparation, ce qui peut générer un stress chez ces animaux éminemment sociaux. »

Cette évolution vers la fin des delphinariums ne doit rien au hasard. « On est dans la continuité d’un phénomène constaté depuis une dizaine d’années. Mise à part la Chine, qui ouvre des zoos aquatiques, on met un terme à ces centres à travers le monde », relate Florence Gaunet, chargée de recherche en éthologie cognitive au laboratoire de psychologie cognitive au CNRS Aix-Marseille Université. Multifactorielles, selon elle, ces fermetures sont notamment liées à l’action offensive des associations militantes qui abreuvent l’opinion publique d’informations via les réseaux sociaux. Les documentaires tels que Blackfish qui militent contre la captivité, les dresseurs repentis qui témoignent, les images chocs, les vraies comme les fausses allégations circulent en boucle sur la Toile. « Et on en sait aussi beaucoup plus sur ces espèces dont les relations sociales sont complexes, les capacités de navigation élaborées témoignent d’une intelligence », assure cette spécialiste, en ajoutant : « Toutes ces données ont forcément fait évoluer notre regard sur les mammifères. »

Mais pour les associations, il ne faut pas attendre l’extinction de ces spécimens en captivité pour tirer le rideau des delphinariums. « Un projet est en cours pour tenter de créer en France une baie de réhabilitation afin d’accueillir ces animaux», indique Christine Grandjean. Incapables de retourner en milieu naturel, ces cétacés pourraient ainsi finir leurs jours en semi-captivité. Comme d’autres, la responsable de C’est assez ! rêve d’un lieu où ces dauphins et orques seraient enfin débarrassés de leurs prénoms.

* NOTE de C’est Assez! 
Les dauphins de Marineland, comme tous les dauphins captifs, ne peuvent s’hydrater correctement grâce à leur nourriture à cause de la congélation du poisson. Les delphinariums pallient ce manque en leur donnant des cubes de gélatine et en les intubant régulièrement, comme l’atteste une vidéo faite par une militante l’année dernière. Ces captures montrent le matériel utilisé pour intuber les dauphins. 



LIRE AUSSI


PÉTITION À SIGNER POUR LE MAINTIEN DE L’ARRÊTÉ: CLIQUEZ ICI

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *