C'est assez

Une orque en deuil porte son bébé mort depuis plus de 3 jours : « Elle ne veut pas lâcher »


[27 juillet 2018]
Portant son bébé par le bout de son rostre, une orque nage endeuillée depuis plus de trois jours dans le Pacifique Nord-Ouest.

Crédit photo : Michael Weiss/Center for Whale Research – via Associated Press

Le bébé est mort jeudi dernier, une demi-heure après avoir vu le jour au large des côtes de Victoria, en Colombie Britannique (Canada). Sa mère est une orque âgée de 20 ans appelée J35. Ce bébé était la première naissance enregistrée dans cette population d’orques résidentes, connue sous le nom d’orques résidentes du sud, depuis 2015.

« Je pense qu’elle est tout simplement en deuil et ne veut pas lâcher son petit et ne comprend pas pourquoi cela s’est produit », déclare Ken Balcomb, fondateur et responsable scientifique de l’organisation Center for Whale Research basé sur les Îles de San Juan (Etats-Unis), qui étudie la population d’orque résidente depuis plus de 40 ans.

Les orques résidentes du sud, composées de trois pods différents, vivent en permanence généralement près de la Colombie Britannique (Canada) et de l’Etat de Washington (Etats-Unis). Certains individus peuvent cependant aller jusqu’en Alaska et au sud de la Californie. Les chercheurs craignent un déclin de la population déjà menacée par la baisse du stock génétique, l’amenuisement des ressources en nourriture et la dégradation de leur environnement.

Il est désormais connu que les orques possèdent des liens sociaux extrêmement complexes, elles utilisent un système de communication vocale et ressentent des émotions comme le deuil. Il arrive que ces animaux portent le corps sans vie de leur progéniture à la surface, comme cela a déjà été répertorié en 2010, pendant quelques heures.

Mais le triste chemin de J35, qui a commencé près de Victoria et qui s’est poursuivi pendant près de 250 km entre les Îles San Juan et Vancouver, dure particulièrement longtemps, disent les scientifiques. C’est devenu un symbole déchirant et particulièrement représentatif du calvaire des orques.

« Nous savons que ces événements se produisent mais celui-ci est unique en son genre, elle ne veut pas lâcher, » affirme M. Balcomb.


J35 a été aperçue de nouveau vendredi matin près de la pointe sud des Îles San Juan, dit-il. Elle gardait son petit à l’équilibre sur son rostre.

« Parfois, elle mord sa nageoire pour le remonter à la surface », précise-t-il. « Le petit coule à pic car sa couche de graisse est trop mince. Elle plonge et le remonte à la surface.”

L’équipe de Ken Balcomb a commencé à suivre cette population d’orques en 1976. A l’époque, ils en ont compté environ 70 après qu’une cinquantaine d’individus aient été arrachés de leur milieu naturel pour devenir des attractions dans les parcs marins.

Environ 20 ans plus tard, après avoir mis en place des mesures de protection au niveau fédéral, le nombre d’orques avait atteint un pic d’une centaine d’individus. Puis le nombre a recommencé à chuter, pour atteindre le nombre de 75 individus.

Avec ce nombre d’orques, il devrait y avoir environ neuf naissances par an, d’après Ken Balcomb. Toutefois, aucun bébé n’a vu le jour depuis 2015.
« Si elles arrêtent de se reproduire, on pourra les observer pendant environ 50 ans encore, mais il n’y aura plus de bébé », dit-il. « Concrètement, la population sera éteinte. »

Le déclin de la population et l’absence de nouveau-nés sont largement la conséquence de la raréfaction de leur proie principale, le saumon royal ou saumon quinnat.


Jan Ohlberger, scientifique et chercheur à l’Université des Sciences de la Pêche et Aquatiques (School of Aquatic and Fishery Sciences), affirme que les orques préfèrent cette espèce de saumon riche en énergie mais que leur population est en baisse depuis ces dernières décennies.
Selon lui, ce déclin serait la conséquence de la surpêche ou du changement climatique. « On ne connaît pas la cause exacte, » dit-il. « Plusieurs hypothèses sont émises à ce sujet. »

Les écologistes estiment que la population baisse aussi en raison de cas d’incestes, de la pollution sonore engendrée par le trafic maritime mais aussi à cause des rejets de déchets industriels et municipaux et autres produits chimiques déversés dans l’eau.

D’autres menaces sont à l’horizon. Un récent accord pour étendre un pipeline appartenant à l’entreprise Trans Mountain, qui transporte du pétrole de la province d’Alberta en Colombie Britannique, multiplierait le trafic de pétroliers traversant l’habitat des orques et les exposerait à davantage de pollution sonore et à des fuites éventuelles. Les travaux de ce pipeline devraient démarrer en août.

En mai dernier, le gouverneur de Wahsington, Jay Inslee, a créé un groupe de travail sur les orques résidentes du sud composé de représentants de l’état, des provinces et des tribus autochtones pour aider à protéger l’habitat de ces animaux.
« La perte de ce nouveau-né dans le groupe d’orques résidentes du sud, en grave danger d’extinction, souligne les enjeux de notre mission pour protéger ces animaux majestueux et symboliques et éviter ainsi de les voir disparaître, » a tweeté Jay Inslee cette semaine.

Ken Balcomb, qui fait également partie de ce groupe de travail, a expliqué que J35 est devenue un point de convergence pour multiplier les efforts afin de protéger ces baleines.
« Tout le monde est dévasté », dit-il. « C’est extrêmement inquiétant, triste et déchirant. »

[Traduction Julie Labille pour C’est Assez !]


Crédit photos : 
Photo 1 – Michael Weiss/Center for Whale Research – via Associated Press
Photo 2 – Center for Whale Research
Photo 3 – Dave Ellifrit [Center for Whale Research]
Photo 4 – (Scarlet – J50, souffrant de malnutrition) Monika Wielands Shields

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