À la fin de l’été dernier, une équipe de scientifiques de l’Université de la Colombie-Britannique a suivi les orques résidentes du sud et les orques résidentes du nord au large de la côte de la Colombie-Britannique à l’aide d’une technologie de pointe qui a ouvert une nouvelle fenêtre sur la vie de ces créatures charismatiques.
L’éventail d’outils High tech comprenait des drones aériens, des détecteurs électroniques et des enregistreurs de données équipés de télémétrie par satellite, d’un gyroscope, d’un hydrophone et d’une caméra sous-marine.
Fixés par des ventouses sur les épaulards, ces appareils ont permis aux scientifiques d’enregistrer ce que les orques voient et entendent, ainsi d’observer leurs mouvements dans l’eau et leur comportement durant les plongées et la chasse. Les images recueillies au-dessus et au-dessous de l’eau étaient saisissantes.
« Certaines des images nous ont coupé le souffle », déclare Andrew Trites, chef d’équipe et professeur au Département de zoologie de l’Institut des océans et des pêches et directeur de l’Unité de recherche sur les mammifères marins de l’UBC.
« C’était incroyable de voir les orques évoluer dans l’eau et se déplacer en trois dimensions. Vous avez l’impression de faire un tour, comme si vous étiez avec les orques et que vous nagiez avec elles en compagnie de dauphins. »
Andrew Trites a été particulièrement frappé par l’interaction physique entre les orques.
« Je pense que je n’avais jamais pleinement apprécié à quel point les orques sont tactiles. C’est probablement une manière pour elles de maintenir ce lien familial très fort qu’elles ont. Ce sont des créatures très sociales. Elles ne survivent pas en étant seules, mais en étant ensemble. »
Dans une vidéo bouleversante, on peut voir un bébé orque résidente du Nord se blottir contre sa mère, avant de glisser le long du corps de sa mère et de donner une petite tape espiègle avec sa caudale sur la tête de sa mère.
La mère frotte ensuite le ventre de son bébé avec sa nageoire pectorale gauche. Ce comportement n’avait jamais été filmé auparavant.
On peut également observé un autre bébé portant un saumon dans sa bouche durant 2 jours, comme si c’était une poupée de chiffon, alors qu’il n’avait que trois mois et se nourrissait toujours du lait de sa mère.
S’agit-il d’une poussée dentaire, ou le bébé apprenait-il simplement à copier les adultes ? Les scientifiques ne peuvent pas en être sûrs.
Mais au-delà de la collecte de ces images époustouflantes, l’objectif principal du projet était d’étudier les habitudes alimentaires et la disponibilité des proies des orques résidentes du Nord et du Sud, qui recherchent tous deux du saumon quinnat le long des côtes de Colombie-Britannique.
Durant l’été et l’automne, les deux groupes vivent à proximité, les orques résidentes du Nord patrouillent dans le détroit de Johnstone sur le côté est de l’île de Vancouver, alors que les orques résidentes du Sud nagent juste au sud, dans la mer des Salish.
Bien qu’elles fassent parties du même type, ces 2 populations ont des dialectes différents, interagissent très peu les unes avec les autres, et ne se croisent que rarement.
Les orques résidentes du Sud, une population en voie de disparition, sont plus minces que les résidentes du Nord et elles sont beaucoup moins nombreuses, passant de 98 individus en 1995 à seulement 75 aujourd’hui.
Les orques résidentes du Nord comptent une population de plus de 300 individus.
Les chercheurs de l’UBC espèrent que les données leur fourniront de nouveaux indices sur les raisons pour lesquelles les résidentes du Nord prospèrent alors que les résidentes du Sud se dirigent vers l’extinction.
« En observant ces deux populations d’épaulards, nous pouvons être en mesure de comparer les conditions d’alimentation et les comportements de chasse des deux groupes et essayer de comprendre pourquoi il est plus difficile pour les orques résidentes du Sud de capturer des proies », explique Sarah Fortune, stagiaire postdoctorale en écologie marine au MMRU et responsable du suivi du projet, qui fait partie d’une enquête pluriannuelle soutenue par Pêches et Océans Canada, par le Conseil de recherches en sciences et en génie du Canada, par la Pacific Salmon Foundation et par le Hakai Institute.
Le sort de la population des orques résidentes du Sud a fait l’objet d’une attention au niveau mondial en 2018 lorsqu’une Maman orque nommée Tahlequah a porté le corps de son bébé mort pendant 17 jours dans ce que certains journalistes ont décrit comme « un comportement de deuil ».
Comme l’a noté Peter Ross, un spécialiste des épaulards et vice-président de la recherche de l’ONG Ocean Wise :
« Il s’agit d’un comportement inhabituel. Nous ne l’avons pas vu auparavant. Qu’est-ce que cela signifie – qui sait ?
En raison de leur petite population et du fait qu’ils vivent à proximité de grands centres urbains, les orques résidentes du Sud sont parmi les mammifères les plus étudiés de la planète, chaque membre étant documenté individuellement.
Malgré cela, il y a encore beaucoup de choses que nous ne connaissons pas à leur sujet.
« Elles sont difficiles à étudier car elles passent 95% de leur vie sous l’eau. Par exemple, nous ne savons pas dans quelle mesure elles se nourrissent la nuit », note John Ford, l’un des pionniers de la recherche sur les épaulards. La cause profonde du déclin de cette population est toujours débattue.
La plupart des observateurs citent trois facteurs :
- la réduction de leurs ressources alimentaires
- la pollution sonore : le bruit et les interférences physiques avec les navires commerciaux et de plaisance
- la pollution chimique : accumulation de produits chimiques industriels dans leur graisse.
Les deux groupes d’orques sont piscivores, leur proie de prédilection étant le saumon royal (saumon quinnat ou chinook), mais l’habitat des orques résidentes du Nord est plus sain et plus calme. Il offre un éventail plus diversifié de saumons, notamment le saumon royal du fleuve Fraser qu’elles peuvent capturer lors de la remontée des saumons vers les frayères, avant que les orques résidentes du Sud ne puissent y avoir accès.
Les orques préfèrent le saumon chinook parce qu’il s’agit d’un type de saumon plus gros et plus riche, mais ces poissons tant convoités sont en déclin, leur population ayant considérablement chuté au siècle dernier en raison de la surpêche, de l’élevage, de la construction des barrages, de l’activité industrielle et de la destruction des estuaires.
En dépit de cela, Andrew Trites note que les modèles mathématiques indiquent que les orques résidentes du Sud devraient être en mesure d’obtenir un approvisionnement adéquat en saumon royal dans la mer des Salish, ce qui suggère que d’autres facteurs peuvent peser dans la balance.
Dans un article récent, Samuel Wasser, biologiste de l’Université de Washington, a rapporté qu’entre 2008 et 2014, près de 70 pour cent des grossesses chez les orques résidentes du Sud ont échoué, soit par fausse couche, soit par la mort des bébés peu après leur naissance.
Mr Wasser pense que ces échecs surviennent à cause de la réduction de la consommation de nourriture qui déclenche la dispersion de polluants dans le corps des cétacés. Lorsque les orques n’ont pas assez à manger, elles commencent à brûler leur réserve de graisse, ce qui libère les toxines stockées dans leur sang.
Cela nuit à la santé du bébé en développement et l’effet est particulièrement prononcé à la fin de la grossesse lorsque le fœtus se développe rapidement.
Il est également possible que le bruit ambiant altère la capacité de ces animaux à chasser.
Marla Holt, biologiste de la faune à la National Oceanic and Atmospheric Administration des États-Unis, affirme que les données collectées par les hydrophones ont révélé que les orques se nourrissaient moins lorsque les navires sont à moins de 350 mètres, le trafic maritime semblant avoir plus d’impact sur les femelles.
Marla Holt a déclaré que le bruit généré par le passage des navires a un effet de masquage, « réduisant ainsi la capacité des orques à identifier les sons qui les intéressent ».
Des sons forts pourraient perturber le sonar biologique des orques. Lors de la chasse, un épaulard émet une série de clics qui se propagent dans l’eau comme le faisceau lumineux d’une lampe de poche.
Si les ondes sonores heurtent un objet, les échos rebondissent vers le cétacé. L’écholocalisation permet aux orques de détecter leurs proies à des distances allant jusqu’à 150 mètres, bien plus loin que ce qu’elles peuvent voir dans l’eau sombre.
Cela leur permet alors de coordonner leurs efforts de chasse en l’absence de lumière ou d’autres caractéristiques reconnaissables sous les vagues.
Les caméras sous-marines de l’équipe de l’UBC ont mis en évidence l’obscurité du monde dans lequel vivent les orques et l’importance de l’utilisation de l’écholocation pour naviguer et chasser.
Les hydrophones ont même permis aux chercheurs d’écouter les orques pourchasser leur proie.
« Elles sont dans l’eau profonde et sombre, cela ressemble à un sous-marin – ping, ping, ping », explique Mr Trites, décrivant les clics d’écholocation.
« De plus en plus vite, les pings se transforment en bourdonnement et vous savez que le moment de la mise à mort approche. Soudain, vous entendez le craquement lorsqu’ils qu’ils mordent. Et puis, c’est c’est le silence. »
L’équipage de l’UBC a utilisé deux navires dans le cadre du suivi de ces 2 populations, le Gikumi, un vaisseau-mère de 18 mètres de long, et le Steller Quest , un bateau à coque en aluminium de 6 mètres de long utilisé pour attacher des enregistreurs de données aux orques.
Cette tâche, qui exige force, compétence et travail d’équipe, a été confiée au biologiste Mike deRoos et au Capitaine Chris Hall, un vétéran de la marine commerciale. Mr DeRoos se tenait à l’avant du bateau tenant une perche en fibre de carbone de huit mètres de long au bout de laquelle était fixée une caméra ventouse, tandis que Chris Hall pilotait avec prudence le bateau aux côtés de l’un des Léviathans de 5000 kg. Mike DeRoos attendait, scrutant l’eau à travers des lunettes de soleil jusqu’à ce qu’il voit une orque surgir des flots. Alors qu’elle brisait la surface de l‘eau, il tentait d’accrocher la ventouse sur le dos de l’animal près de la nageoire dorsale.
« C’est assez difficile. Ils ne font généralement surface que durant environ deux secondes, et leur peau est glissante, explique Mr deRoos,
« Vous devez avoir le bon timing car si elles voient la perche au-dessus d‘elles, Elles ne remonteront pas. »
Une fois fixé, l‘enregistreur de données émettra durant cinq, sept ou 20 heures, selon sa programmation.
À la fin de ce laps de temps, l’appareil se détache, flotte à la surface et émet un signal radio pour aider l’équipage à le récupérer.
Les informations obtenues avec ces instruments sont révélatrices.
« Certaines des choses que nous avons enregistrées vont nous permettre d’affiner la compréhension actuelle de la façon dont les épaulards vivent ensemble, chassent, partagent leur nourriture et communiquent entre eux », explique Mme Fortune.
Les données accumulées durant cette expédition qui a duré un mois, alors que l’équipe de recherche a parcouru plus de 2500 km, sont si importantes que les scientifiques sont toujours en train de trier les données et de travailler à leurs conclusions.
L’une des questions importante à laquelle ils espèrent répondre est de savoir si la pénurie alimentaire présumée que subissent les orques résidentes du Sud se produit dans la mer des Salish durant l’été et l’automne, ou si elle se produit ailleurs dans leur aire de répartition en hiver et au printemps.
Ironiquement, la froideur de la technologie, si souvent liée à la notion de domination sur la nature, ouvre désormais une porte aux biologistes afin de leur permettre d’étudier les animaux de manière plus intime et plus révélatrice.
Dans ce nouveau monde, les orques elles-mêmes se comportent en océanographes, révélant le royaume aquatique dans lequel elles vivent avec un minimum de perturbation dans leur vie.
Obtenir une vue plus exhaustive de ce qui se passe sous l’eau avec les orques n’était pas seulement une percée scientifique, mais une expérience émotionnellement enrichissante pour les chercheurs de l’UBC.
« Cette technologie nous a permis d’ouvrir les yeux sur des choses que nous ne connaissions pas auparavant », déclare Mr Trites. « C’est incroyablement excitant. C’est ce qui nous fait nous lever chaque jour, avoir la chance de découvrir quelque chose de nouveau. »