C'est assez

Etats-Unis – Après 20 ans, une tribu autochtone espère de nouveau chasser la baleine.

Par GENE JOHNSON / Associated Press
15 novembre 2019

Une audience d’une semaine qui se tient à Seattle permettra de déterminer si cette tribu amérindienne de l’État de Washington pourra à nouveau chasser la baleine.

Patrick DePoe était sur les bancs de l’école secondaire la dernière fois que sa tribu a été  autorisée à chasser la baleine. Il était dans un canot qui accueillait l’équipage qui remorquait le corps d’une baleine grise. Sa classe d’atelier avait travaillé au nettoyage des os et à ré-assembler le squelette, qui est suspendu dans un musée tribal autochtone.

Deux décennies plus tard, lui et sa tribu, les Makahs, les seuls Amérindiens ayant le droit de chasser la baleine en vertu d’un droit issu d’un traité
leur permettant de tuer les mammifères marins, attendent toujours la permission du gouvernement de pratiquer de nouveau cette chasse comme leur peuple l’a toujours fait. La tribu, qui vit dans le nord-ouest de la péninsule Olympique de Washington, espère utiliser les baleines pour se nourrir et fabriquer des objets d’artisanat, des œuvres d’art et des outils qu’elle pourra vendre.

Après maintes batailles judiciaires, la prochaine étape est une audience administrative d’une semaine qui a débuté jeudi dernier à Seattle. 

Quel que soit le résultat, les Makahs se retrouveront bloqués par d’autres procédures judiciaires, les défenseurs des droits des animaux jurant de mettre fin à une pratique qu’ils qualifient d’inutile et de barbare.

« Cela n’aurait pas dû prendre 20 ans pour en arriver là où nous en sommes aujourd’hui »,  a déclaré M. DePoe, membre du conseil tribal. « Les gens me demandent ce que je ressens. J’aimerais vous demander comment pouvez vous croire que c’est le processus que nous devons suivre pour exercer un droit qui a déjà fait l’objet d’un accord. C’est un droit issu d’un traité. C’est une loi établie. »

En 1855, les Makah, une tribu qui compte maintenant environ 1 500 membres, ont cédé plus de 470 milles² (soit 1 217 km²) de terres aux États-Unis en vertu d’un traité qui leur promettait le « droit de pêche et de chasser la baleine ou le phoque aux motifs habituels ».  Ils ont tué des baleines jusque dans les années 1920, renonçant à cette pratique parce que la chasse commerciale avait dévasté les populations de baleines grises
En 1994, la population de baleines grises de l’est du Pacifique a augmenté, et a été retirée de la liste des espèces en péril. Voyant là une occasion de récupérer son patrimoine, la tribu a annoncé son intention de reprendre la chasse à la baleine grise.  
Les Makahs se sont entraînés durant des mois aux anciennes méthodes de chasse à la baleine et ont reçu la bénédiction des fonctionnaires fédéraux et de la Commission baleinière internationale. Ils ont repris la chasse en 1998, mais n’ont réussi que l’année suivante, lorsqu’ils ont harponné une baleine grise alors qu’ils étaient à bord d’un canot en cèdre sculpté à la main. Un membre de la tribu qui était à bord d’un bateau motorisé a tué la baleine à l’aide d’un puissant fusil pour minimiser ses souffrances.


Des militants d’ONG pour les droits des animaux ont protesté contre ces chasses, intervenant en lançant parfois des fumigènes ou en pulvérisant le contenu d’extincteurs sur les baleiniers. D’autres sont intervenus en s’interposant entre les baleines et les canots des tribus pour gêner la chasse. Les autorités avaient alors saisi plusieurs navires et procédé  à des arrestations.


Après que des groupes de défense des droits des animaux aient intenté une action en justice, la Cour d’appel du neuvième circuit aux États-Unis avait annulé l’approbation fédérale des plans de chasse à la baleine de la tribu Makah. Le tribunal a conclu que la tribu devait obtenir une dérogation en vertu de la Marine Mammal Protection Act (loi sur la protection des mammifères marins) de 1972.

Onze communautés autochtones de l’Alaska dans l’Arctique bénéficient d’une telle dérogation pour la chasse de subsistance, ce qui leur permet de tuer les baleines boréales,  même si celles-ci sont inscrites sur la liste des espèces menacées.
Le peuple Makah avait demandé une dérogation en 2005. Le processus avait alors été bloqué à maintes reprises alors que de nouvelles données scientifiques sur les baleines grises et la santé de leur population aient été découvertes.
Certains des baleiniers Makahs ont été tellement frustrés par ces retards qu’ils ont chassé la baleine sans autorisation en 2007. Ils avaient tué une baleine grise qui s’est éloignée et avait coulé.  Ils ont été condamnés par un tribunal fédéral.

La NOAA Fisheries a proposé un règlement autorisant les Makahs à capturer 20 baleines pendant 10 ans, en limitant le calendrier des chasses pour minimiser les risques de tuer des baleines grises du Pacifique occidental, espèce en voie de disparition. 
La population de baleines grises de l’est du Pacifique, qui compte environ 
27 000 individus, est robuste, malgré des décès récents provoqués par l’échouage de centaines de baleines sur les plages de la côte Ouest, ont déclaré des scientifiques fédéraux.
L’audience, qui a débuté jeudi  7/11, se concentrera sur des arguments très techniques sur la question de savoir si la tribu répond aux exigences d’une dérogation.
« Il n’y a pas de gros problèmes de conservation ici »,  a déclaré Donna Darm, une fonctionnaire retraitée de la NOAA qui a commencé à travailler sur cette question en 2005 et le fait toujours en tant qu‘entrepreneur.
Plusieurs ONG  s’opposent à la chasse à la baleine. Ils soutiennent que le bilan environnemental de la NOAA est  inadéquat, qu’il n’est pas clair de savoir dans quelle mesure la mort récente de baleines a nui à la population et que la loi sur la protection des mammifères marins pourrait annuler le droit de la tribu en ce qui a trait au traité.
Ils déclarent également que la tribu ne peut prétendre à un besoin de subsistance ou à un besoin culturel de chasser après tant de décennies d’arrêt.
« La famille, les traditions et les rituels associés à l’histoire de la chasse à la baleine peuvent continuer sans la reprise de la chasse à la baleine », a déclaré l’Animal Welfare Institute dans un communiqué. « Les Makahs pourraient, s’ils le souhaitent, attirer et sensibiliser un nombre incalculable de visiteurs sur ses terres en encourageant une pratique non létale pour les baleines, le whale wahtching. »    
Mr DePoe s’énerve contre les groupes qui dictent ce que la culture de sa tribu exige. Il se souvient de la fierté qu’il ressentait quand un équipage de Makah avait réussi, de la joie de partager  et du goût de la viande de baleine.
« J’ai un petit frère d’une vingtaine d’années », dit DePoe. « Il ne s’en souvient pas. J’espère qu’un jour, il pourra en faire l’expérience. »

Lire également : Le gouvernement fédéral soutient la demande d’une tribu indienne pour la chasse à la baleine sur le continent américain.

Traduction : C’est assez ! 
Crédit photos : ©Associated Press / ©Elaine Thompson / ©Wikipedia

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