Les premières tentatives pour garder des cétacés en captivité datent des années 1860, un siècle avant que SeaWorld ne commence à capturer des dauphins et des orques pour les enfermer dans leurs minuscules bassins.
C’est le Barnum’s American Museum, au cœur de Manhattan (New York), qui a eu la triste d’idée d’essayer de garder des bélugas vivants.
En 1861, Barnum avait supervisé la capture de bélugas à Rivière-Ouelle et à L’Isle-aux-Coudres, dans l’estuaire du Saint-Laurent, ces animaux furent envoyés en train jusqu’à New York.
Béluga sur un quai à New York (4 février 1860) © Frank Leslies illustrated Newspaper |
Les deux premiers bélugas amenés dans l’établissement furent placés dans un bassin au sous-sol, bassin rempli d’eau douce. Les 2 cétacés moururent seulement deux jours après leur arrivée.
D’autres tentatives eurent plus de « succès ». L’eau douce des bassins avait été remplacée par de l’eau de mer. Barnum avait alors soudoyé la mairie afin de trafiquer le système d’eau pour acheminer l’eau de mer du port de New York au musée.
C’est ainsi que Barnum créa le premier océanorium fonctionnel au monde.
Mais l’eau des bassins était sale et opaque, l’eau n’étant pas traitée. Les bélugas restaient généralement au fond du bassin, cachés des yeux des visiteurs, et ne pouvaient être aperçus que de temps à autre, lorsqu’ils remontaient à la surface pour respirer.
En 1868, le Barnum’s American Museum fut dévasté par un incendie. 2 bélugas trouveront la mort dans d’horribles circonstances.
© Cranch, oil painting (c. 1865) |
Alors que les flammes dévoraient les bâtiments, l’eau salée du bassin des bélugas commença à bouillir. Quelqu’un eut l’idée de briser la vitre en verre épais du bassin, espérant que l’eau qui s’en déverserait éteindrait les flammes.
Les deux bélugas, qui avaient été capturés au Canada une semaine auparavant, tombèrent dans la rue en contrebas alors que le bâtiment commençait à s’effondrer.
Les 2 corps, trop lourds pour être enlevées rapidement, restèrent sur le trottoir de Broadway durant plusieurs jours.
On estime qu’entre 1860 et 1965, une trentaine de bélugas ont ainsi été acheminés aux États-Unis.
Fred Mather, qui fut en charge des soins de plusieurs bélugas du Saint-Laurent aux États-Unis, relate en 1899 dans le Popular Science Monthly :
« En 1877, j’étais responsable de leur aquarium à Coney Island. Aux deux endroits, le grand aquarium de New York et celui de Coney Island, nous avions beaucoup de baleines blanches (bélugas) à différents moments, car la direction gardait des baleines dans des enclos dans le fleuve Saint-Laurent pour remplacer celles qui mourraient et on n’en montrait au public jamais plus de deux à la fois, prétendant qu’elles étaient des animaux rares et qu’on pouvait seulement s’en procurer à un prix énorme.
Il ne fallait pas que le public sache qu’elles étaient communes pendant l’été dans le Saint-Laurent et lorsqu’un béluga devenait faible, un autre était envoyé, et le public supposait que la même paire était en exposition tout le temps ».
Ces bélugas ne vivaient guère plus de quelques mois, mais le fleuve semblait alors une source presque inépuisable de nouveaux sujets.
Leur chasse dans le fleuve fut interdite en 1979 et la fin des captures pour exportation pour l’ensemble du Canada fut décrétée en 1992.
Si les captures ont cessé dans le Saint-Laurent, les aquariums états-uniens et canadiens ont continué de s’approvisionner en bélugas de la baie d’Hudson, à partir de Churchill, au Manitoba.
Entre 1967 et 1992, 68 bélugas seront ainsi prélevés de leur milieu naturel.
Au Canada, l’Aquarium de Vancouver fut le premier à garder des bélugas en captivité.
Deux bélugas pris accidentellement dans une pêcherie en Alaska arrivent dans les bassins de Colombie-Britannique en 1967. D’autres viendront ensuite de Churchill.
Bassin des bélugas au Vancouver Aquarium en 2005 – ©Stan Shebs |
Avec le décès des deux derniers bélugas encore détenus à Vancouver en décembre 2016 et la décision de la Commission des parcs de Vancouver d’y interdire l’importation et l’exposition de cétacés, c’est une page d’histoire qui se tourne.
Un seul autre établissement canadien garde encore des bélugas en captivité, soit le parc d’attractions Marineland, en Ontario.
Ils détiennent plus de 40 bélugas, quelques dauphins et une orque.
Aujourd’hui, il ne reste qu’en Russie, dans la mer d’Okhotsk, où des bélugas sont capturés pour l’exportation.
Après un débat de plusieurs années, les États-Unis ont interdit l’importation de bélugas sauvages provenant de Russie en automne 2018.
En 1938, en Floride, les Marine Studios de Saint Augustine créait le tout premier delphinarium commercial.
Des producteurs de cinéma ont mis sur pied le premier studio destinés aux prises de vues sous-marines. L’aquarium abrite diverses espèces de poissons et animaux marins. Marine Studios est destiné à l’origine à permettre le tournage plus facile et moins coûteux de films d’aventure.
Ils détiennent également une petite colonie de dauphins Tursiops capturée à partir de mars 1938. Les dauphins deviendront la principale attraction. Ils remporteront rapidement un vif succès public. Plus de 20 000 touristes affluèrent pour visiter le parc.
En 1947, l’une des femelles nommée Spray donne naissance à cinq delphineaux à la suite.
En 1948, c’est Arthur Mac Bride, responsable des studios, qui décida d’en faire le premier vrai « delphinarium » (sous le nom de Marineland de Floride) tel que nous les connaissons aujourd’hui.
Cecil M. Walker Jr fut le tout premier dresseur à enseigner des tours aux dauphins
Un jour, il remarqua qu’un dauphin envoyait systématiquement une plume de pélican dans sa direction. Cecil M. Walker remplaça la plume par un ballon et ajouta à la piscine toutes sortes d’autres objets en caoutchouc.
Flippy – Marineland de Floride |
Le premier spectacle de dauphins eut lieu avec Flippy, un dauphin Tursiops désigné à l’époque comme « le premier marsouin éduqué ».
Il fut dressé par Adolf Forhn, de Barnum & Bailey Circus.
En 1954, ils fournirent deux Tursiops nés en captivité au nouveau Marineland de Palos Verdes, en Californie.
La popularité des delphinariums a augmenté rapidement jusque dans les années 1960 et plus particulièrement en 1963 avec la sortie du film Flipper le dauphin et de la série télévisée du même nom.
Dès 1966, les premiers shows commencent en Europe avec l’ouverture d’un premier delphinarium en Espagne, puis au Dolfinarium de Harderwijk, en Suède, et très rapidement au Japon.
C’est dans les années 1960 que ces structures commencent à accueillir des orques.
Les premières tentatives de garder des orques capturées « par accident » débutèrent en 1961.
Wanda, une orque solitaire nageant dans le port de Newport Harbor en Californie fut capturée par une équipe du Marineland of the Pacific en novembre 1961.
Elle mourut 2 jours seulement après avoir été enfermée. Beaucoup sont convaincus qu’il s’agissait d’un suicide.
Les captures volontaires débutèrent en 1968. Elles furent organisées par l’aquarium de Seattle à Puget Sound.
Entre 1962 et 1973, au moins 263 orques ont été capturées dans les eaux de la Colombie-Britannique et de Washington. 50 individus furent capturés et envoyés dans des delphinariums, 12 moururent au cours de ces opérations.
Le reste de ces orques capturées se sont échappées ou ont été relâchées.
Vingt-sept des orques gardées pour l’industrie de la captivité appartenaient à la population des orques résidentes. Toutes sauf une, Lolita, sont mortes depuis. Lolita est toujours détenue au Miami Seaquarium.
Après le moratoire adopté aux États-Unis avec le Marine Mammal Protection Act de 1972, seules deux orques furent capturées jusqu’en 1978.
Ces opérations de capture dans l’océan Pacifique nord fournissaient aussi bien les delphinariums d’Amérique du Nord que ceux d’Europe qui furent durement affectées par ce moratoire.
Les captures se délocalisèrent alors dans l’océan Atlantique nord, au large de l’Islande, entre 1976 et 1983.
20 d’entre elles furent été emmenées en captivité, 43 furent tuées lors des opérations de capture.
Depuis les années 1990, des mouvements militants pour les droits des animaux ont commencé à voir le jour et ont fait pression auprès des gouvernements et des institutions pour faire cesser la garde d’animaux en captivité.
En 1992, l’interdiction des captures pour exportation au Canada marquait le début de la fin.
L’Aquarium de Vancouver fut le premier au monde à s’engager à ne plus capturer ou à ne plus causer la capture de cétacés sauvages en 1996.
Au cours des dernières années, 11 pays ont interdit la captivité des cétacés (Hongrie, Royaume-Uni, Chypre, Costa Rica, Chili, Croatie, Autriche, Suisse, Inde, Finlande, Canada).
Le Nicaragua et le Brésil ont mis en place des règles qui empêchent l’ouverture de delphinariums.
D’autres pays européens ont banni la captivité des cétacés (Slovénie, Irlande, Estonie, Lettonie, Luxembourg, Pologne, Slovaquie, République Tchèque)
Un état états-unien, la Caroline du Sud, a interdit l’importation ou la capture de cétacés vivants, la captivité ou l’utilisation de cétacés à des fins commerciales ou de divertissement.
Le 4 avril 2021, la région bruxelloise interdit de détenir des cétacés, une mesure symbolique visant à inspirer les pays voisins et les amener à prendre des mesures similaires.
En octobre 2019, l’ONG World Animal Protection (WAP) rendait public un rapport sur le secteur des delphinariums.
Selon ce rapport, 3603 cétacés sont détenus à travers le monde. Huit cétacés captifs sur dix seraient des dauphins.
World Animal Protection a identifié 355 sites ouverts au public détenant des cétacés captifs dans 58 pays.
Parmi ces installations, 336 détiennent au moins une espèce de dauphin.
Plus de 60 % des dauphins captifs sont détenus par seulement 5 pays : La Chine (23%), le Japon (16%), les Etats-Unis (13%), le Mexique (8%) et la Russie (5%).
Les dauphins captifs rapporteraient entre 1,1 et 5,5 milliards de dollars de revenus.
Ces entreprises de loisirs exploitent ces animaux de diverses façons, que ce soit pour les spectacles, les programmes de nage avec les dauphins, la delphinothérapie ou tout autre interaction.
Les cétacés n’ont rien à faire en captivité !
Les bassins ne constituent pas un environnement adapté aux besoins physiologiques, psychiques et sociaux de ces cétacés.
Dans la nature, les cétacés parcourent plusieurs dizaines de kilomètres par jour. Ils plongent à plusieurs centaines de mètres de profondeur. Ils évoluent dans de larges territoires naturels, explorent leur environnement, chassent en groupe, jouent, surfent les vagues….
1400 tours de bassin sont nécessaires à une orque pour parcourir la même distance qu’en milieu naturel chaque jour.
En captivité, les cétacés sont contraints de cohabiter avec des individus d’origine, de culture et de langage différent.
Ils développent une agressivité qui engendrent régulièrement des conflits, et des bagarres extrêmement violentes.
En bassin, les cétacés s’ennuient, ils manquent d’espace, n’ont pas d’ombre…
Les cétacés captifs sont sujets au stress, à l’ennui et à la dépression.
Ils adoptent alors des gestes stéréotypés et répétitifs caractéristiques de troubles psychologiques comme mâchouiller les barrières métalliques et les parois en béton des bassin. Certains vont jusqu’à se taper la tête contre les parois du bassin.
Pour pallier ces problèmes, les cétacés reçoivent de fortes doses d’antidépresseurs et d’anxiolytiques.
Les cétacés captifs sont également sujets à des maladies pulmonaires, aux ulcères, et à des problèmes dermatologiques liés à leur captivité et au traitement de l‘eau saturée en chlore qui leur brûle la peau, les poumons, les yeux.
Pour traiter ces maladies, ils sont bourrés d’antibiotiques et de pansements gastriques.
Pour justifier le maintien de leur activité, les responsables des parcs affirment que les cétacés vivent mieux et plus longtemps à l’abri des dangers de l’océan.
Les études scientifiques démontrent le contraire : les cétacés captifs vivent deux fois moins vieux que leurs congénères vivant à l’état sauvage.
En captivité les orques et dauphins n’atteignent pratiquement jamais l’âge de 30 ans.
Dans la nature les dauphins peuvent vivre jusqu’à 60 ans et les orques jusqu’à 90 ans (l’orque Granny, matriarche du Pod J des orques résidentes du Sud est morte en 2016 à l’âge de 105 ans).
Sources : Baleines en direct / Popular Science Monthly / Dauphin Libres / World Animal Protection / C’est assez !