C'est assez

Brésil – Le dauphin rose de l’Amazone risque l’extinction si le moratoire sur la pêche du poisson-chat n’est pas renouvelé

17 juin 2020 – Par Peter Yeung 

Le dauphin rose de l’Amazone (Inia geoffrensis ou boto), déjà classé « en danger » et remis depuis 2018 sur la liste rouge de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature), est aujourd’hui encore plus menacé au Brésil et en Amérique latine. 
© Wikipedia
On estime à quelques dizaines de milliers le nombre d’animaux vivant à l’état sauvage, bien qu’il soit difficile de les compter avec précision dans les eaux troubles des rivières de l’Amazonie. Comme les autres dauphins de rivière, le boto communique avec différentes tonalités de sifflets. 

Occupant les bassins des fleuves Amazone et Orénoque, qui traversent la moitié nord du continent sud-américain, ces mammifères d’eau douce étaient historiquement abondants et sont aujourd’hui protégés par la loi brésilienne ; il est illégal de les tuer. 
Mais depuis des années, les braconniers ciblent ces dauphins, utilisant leur graisse et leur chair comme appât pour attraper un poisson-chat carnivore appelé piracatinga, qui est attiré par l’odeur de la chair en décomposition. L’animal subit également de plein fouet la pollution au mercure liée à l’orpaillage clandestin.

©Verónica Iriarte
En janvier 2015, sous le gouvernement de la présidente brésilienne Dilma Rousseff, ces comportement criminels ont conduit à l’introduction d’un moratoire de cinq ans sur la capture du piracatinga afin de mieux protéger les dauphins. Mais ce moratoire a pris fin en début d’année et devait être renouvelé par l’administration de Jair Bolsonaro, qui sape de nombreuses autres lois environnementales du Brésil. 

Les experts avertissent que l’absence d’extension de ce moratoire pourrait mener à l’extinction le plus grand dauphin d’eau douce du monde – un sort qu’a subit le dauphin de Chine dans le fleuve Yangtze en 2007, après des années de surpêche, de pollution et de dégradation de son habitat. 
« Je pense que l’absence de moratoire pourrait les faire disparaître », prévient le Dr Vera da Silva, chercheur à l’INPA, l’institut de recherche sur l’Amazonie, qui étudie les dauphins d’Amazonie depuis plus de 30 ans. « Tous les objectifs du moratoire n’ont pas été atteints, c’est pourquoi le moratoire doit être prolongé », a-t-elle expliqué. 

Les recherches menées par Vera Da Silva, publiées en 2017, ont montré que la gestation d’une femelle dure généralement 13 mois. Après cela, la mère nourrit son petit durant deux ans. En raison de cette longue période de gestation et d’allaitement, les femelles ne se reproduisent que tous les trois à cinq ans. 

©AFP Photo/HK Dolphin Conservation Society
« C’est une espèce qui se reproduit très lentement », note Mme Da Silva. « Si le prélèvement est supérieur au taux de reproduction et de croissance, l’espèce n’a pas la capacité de se renouveler. 
Cette étude faite par Mme Da Silva et publiée en 2018 ont révélé que la population de dauphins roses de l’Amazone au Brésil diminue de moitié tous les dix ans. 

Les procureurs de l’État d’Amazonas, où est basé l’Institut Mamirauá, qui sont à l’origine du moratoire qui a été mis en place en 2015, avertissent que pas moins de 2 500 dauphins étaient tués illégalement chaque année pour servir d’appât. 

Mme Da Silva rapporte qu’en novembre 2019, elle a rencontré des fonctionnaires du Secrétariat de la production de l’État d’Amazonas (SEPROR), pour discuter de la prolongation du moratoire dans cet état. Mais rien ne s’est fait depuis, et la haute saison de pêche doit commencer en juillet. 

« Il y a énormément d’inconnues », prévient-elle. « Nous avons besoin de plus d’informations sur les pratiques de pêche. Il n’y a pas de lois assez rigoureuses pour obliger les pêcheurs à déclarer ce qu’ils prennent ». 


Marcelo Oliveira, spécialiste de la conservation au WWF Brésil, est d’accord avec cette analyse. « La pêche est une menace, mais nous n’avons pas assez de données », dit-il. « Si nous ne savons pas où se trouvent les dauphins, nous ne pouvons pas dire à quel point la menace est grave. Mais il est coûteux de faire des expéditions pour surveiller les tendances démographiques ». 
©Fernando Trujillo
Le WWF a innové en utilisant des drones pour accomplir la difficile tâche d’améliorer le comptage pour l’estimation de cette population, en survolant des bandes de rivière de 2,5 kilomètres pour enregistrer des images. 
« C’est beaucoup moins coûteux et plus efficace que de faire des observations à partir de bateaux », dit-il. L’ONG travaille actuellement en partenariat avec des universités britanniques pour analyser les résultats des images des drones en utilisant l’intelligence artificielle. 
Mais même avec de meilleures pratiques d’enregistrement des données et un ensemble de données amélioré, Oliveira affirme que les dauphins de rivière sont toujours très menacés par un large éventail de menaces. « Les prises accidentelles voient tant de dauphins pris dans les filets de pêche, l’exploitation de l’or dans la région a entraîné un empoisonnement au mercure dans l’eau et la construction de barrages hydroélectriques a réduit leur habitat et leur patrimoine génétique », explique-t-il. 
Oliveira estime que pour l’instant, la conservation des dauphins devrait être axée sur un meilleur engagement communautaire dans tout le bassin amazonien, avec une forte sensibilisation des pêcheurs, dans une région dont la population en pleine expansion a maintenant dépassé les 34 millions d’habitants. 
©Fernando Trujillo

«La prolongation du moratoire pourrait être un moyen de protéger les dauphins, des appâts alternatifs pourraient être un autre moyen, mais nous devons avoir un équilibre entre le développement et la conservation de la biodiversité », dit-il. « Ce n’est pas un combat entre les deux. Si les communautés sont impliquées dans la conservation, les dauphins seront plus en sécurité ».

Fernando Trujillo, directeur scientifique de la Fundacion Omacha, une ONG environnementale, créée en 1993, basée en Colombie et spécialisée dans la protection des dauphins de rivière, affirme que la conservation doit également être abordée au niveau international. 
« La fin du moratoire du Brésil enverra le message que la pêche est acceptable – même dans d’autres pays d’Amérique latine », déclare-t-il. « Nous devons travailler ensemble avec tous les pays en termes de politique, en nous mettant d’accord sur les mêmes critères et la même législation, notamment en ce qui concerne la surveillance des frontières ». 
©Peter Yeung
M. Trujillo, qui est également coprésident du comité sur les petits cétacés à la Commission Baleinière Internationale, demande que le moratoire brésilien soit prolongé de cinq ans. 
« Pour de nombreuses raisons, c’est une espèce que nous devons conserver et sauver », dit-il. « Les dauphins vivants peuvent rapporter plus d’argent que les dauphins morts aux communautés locales grâce à l’écotourisme. » 
Selon les croyances indigènes, le dauphin de rivière – qui passe du gris au rose en vieillissant – est une créature magique. Une légende dit que la nuit, le dauphin rose se transforme en femme, pour attirer les hommes dans le fleuve. Et en jeune homme, pour attirer les femmes restées à la maison. 
Mais les scientifiques considèrent les mammifères comme les principaux prédateurs de l’écosystème aquatique amazonien – les considérant comme les jaguars des rivières. Un porte-parole du ministère de l’agriculture, de l’élevage et de l’approvisionnement a déclaré que le moratoire n’avait pas encore été prolongé car « il est nécessaire d’évaluer ses effets sur la reconstitution des populations de marsouins et de caïmans afin de vérifier l’efficacité de cette mesure de gestion des pêches ». 
Lorsque le journal « Mongabay » lui a demandé de commenter, le ministère n’a pas fourni de calendrier pour cette période d’évaluation. 
©Frank Wouters 
Il existe un autre mythe sur le dauphin rose de l’Amazone. On dit que le tuer porte malheur. Ne sachant pas quels impacts aquatiques négatifs pourraient émaner de l’extinction de ce grand prédateur, les autorités pourraient tenir compte de cette légende alors qu’elles sont encore hésitantes pour décider de renouveler ou non le moratoire du Brésil. 
« Nous avons le devoir et l’obligation, non seulement en tant que biologistes, mais en tant que société, de préserver et de maintenir les espèces. Principalement les espèces menacées d’extinction, dont nous savons qu’elles disparaîtront de l’Amazonie et du monde. Chaque fois qu’une espèce animale disparaît, l’humanité est perdante à coup sûr. » – Vera Da Silva
Traduction : C’est assez ! 
Source : Mongabay

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