Le 24 mars 2019, un jeune globicéphale tropical a été filmé et photographié par Francis Pérez alors que sa nageoire caudale avait été sectionnée.
Le 16 avril, sur sa page Instagram, le photographe expliquait :
« J’espérais que cette coupure ait été causée par des morsures de requins, mais non. Elle a été causée par un animal irrationnel, l’homme ». Et plus particulièrement un objet tranchant, comme l’hélice d’un petit bateau.
« Seules trois personnes étaient présentes pour entendre les cris perçants de douleur et de peur de cette jeune baleine qui luttait pour nager : le photographe, le biologiste marin et le vétérinaire qui ont été appelés sur les lieux et qui n’ont pas été en mesure d’aider un animal souffrant d’une blessure aussi grave.
Les vétérinaires du Cabildo de Tenerife qui exercent leurs fonctions au Centre de Sauvetage de la Faune de La Tahonilla ont été obligés, le dimanche 24 mars, d’euthanasier l’animal en raison de la blessure mortelle dont il souffrait.
Quelques jours après l’incident, l’une des personnes qui a assisté aux dernières minutes de la vie du mammifère marin, a voulu exprimer par écrit ce qu’il a ressenti ce jour là.
Il s’agit de Jacobo Marrero Pérez, docteur en biologie marine de l’ULL et membre de l’association Tonina.
Jacobo, a tout d’abord qualifié les eaux du sud de Tenerife de « sanctuaire authentique » pour les cétacés, il a évoqué la difficile coexistence de cet endroit et de ses habitants avec le développement touristique de l’île.
« Malheureusement, la pression nautique à laquelle ces animaux sont soumis dans cette zone touristique par excellence est excessive et la situation est totalement incontrôlable », a-t-il déclaré tout en estimant qu’il était « inadmissible, intolérable, insoutenable » de continuer comme avant.
Jacobo a expliqué que ce jour-là, il avait reçu un message d’une des compagnies de whale watching, « White Tenerifee, lui disant qu’il y avait une baleine blessée qui semblait « pleurer ».
Avec le photographie Francis Perez, photographe ayant l’« autorisation administrative de nager avec des cétacés », ils se sont rendus au lieu indiqué.
Le biologiste marin raconte ensuite ce qui s’est passé quand ils ont trouvé l’animal agonisant.
« Tu étais seul, mais ta famille ne t’avait pas abandonné », explique-t-il, « ils étaient là et tes appels les ont fait venir. »
Jacobo explique que, lorsqu’ils ont vu les photos que Francis venait de prendre, il a eu le cœur brisé, mais qu’il ne sait toujours pas avec certitude si la blessure a été provoquée par un bateau ou un autre animal.
« Mais, à ce moment, je ne m’en souciais pas, ma seule préoccupation, c’était toi », ajoute-t-il.
Dans une vidéo filmée par Francis Perez, on peut voir Hope, le nom que Jacobo a donné au cétacé, nageant avec beaucoup de difficulté avec sa nageoire caudale pratiquement détachée du corps.
Entourée d’autres membres de son groupe, le globicéphale tente de nager, mais est incapable de se propulser.
« j’étais comme un enfant, ne sachant que faire », dit Jacobo, impuissant devant cette situation.
Après avoir évalué la gravité de la blessure, le moment est venu de prendre une décision. Le vétérinaire du centre La Tahonilla a recommandé que l’animal soit euthanasié. Mais pour cela, il fallait le capturer, ce qui n‘était pas facile. Jacobo ajoute qu’ils n’avaient « ni l’expérience, ni les moyens de le faire ».
Quand ils ont finalement réussi à attraper le cétacé, ils lui ont injecté plusieurs doses, mais alors qu‘il semblait déjà parti, l’appel émis par son groupe familial a semblé le réveiller.
« Nous avons dû te monter sur un des bateaux pour que tu arrêtes d’écouter les tiens et pour que tu te calmes », se rappelle-t-il.
Alors, oui, la baleine est morte.
« Ta tête s’est retrouvée à mes pieds, c’est là que j’ai craqué parce que je ne pouvais plus le supporter, j’ai commencé à pleurer », avoue-t-il.
« Comme c’est petit, comme c’est inutile, comme je me suis senti triste à ce moment-là »,dit Jacobo.
« S’il te plaît, vas-y, vas-y maintenant, je suis vraiment désolé », c’était la seule chose à laquelle ce scientifique expérimenté a pu penser durant les derniers instants de vie de la baleine. Comme il l’explique, « ni les publications scientifiques ni les rapports techniques » ne l’avaient aidé à sauver l’animal.
« Je suis toujours brisé par ce qui t’es arrivé », avoue-t-il.
La triste expérience décrite par ce docteur en biologie marine révèle avec une extrême dureté l’une des conséquences de la situation actuelle dans le sud de l’île, avec des dizaines de bateaux dédiés à la découverte de cétacés et d’autres animaux, comme les tortues, c’est la côte la plus touristique de l’île.
Ainsi, cette année, la moyenne annuelle d’échouages de baleines sur l’île a déjà été dépassée.
4 jours plus tard, le corps d’un cachalot de 8 mètres s’est échoué sur la côte d’El Medano, après, semble t-il, une collision avec un bateau.
Depuis le début de l’année, une douzaine de cétacés ont été tués à la suite d’accidents et ont été retrouvés dans les îles Canaries.
La communauté scientifique a souligné la gravité de la situation. Les rapports officiels suggèrent que le nombre moyen de victimes par an est seulement de 2,5, mais les experts estiment que ce chiffre est largement sous-estimé. Alejandro Quintana, avocat spécialisé en droit de l’environnement, a déclaré: « Ce n’est même pas la partie visible de l’iceberg. »
« Ce n’est pas seulement une catastrophe environnementale, cela représente également un danger pour la navigation. »
Le problème est exacerbé par l’absence de protocole anti-collision spécifique contenant des lignes directrices à l’intention des États membres de l’Organisation maritime internationale (OIM), ce qui pourrait réduire le risque d’accident.
« Dans un sanctuaire de cétacés, vous ne pouvez pas aller à la vitesse souhaitée, vous devez vous adapter aux critères de conservation de l’environnement. »
Natacha Aguilar, biologiste marine et candidate au doctorat à l’Université de La Laguna, a déclaré que la mise en œuvre de mesures visant à résoudre le problème actuel était urgente et devait constituer une priorité.
Le Dr Aguilar a ajouté: « L’important n’est pas de rechercher les coupables, mais d’agir de manière responsable en suivant les directives du gouvernement afin de rendre l’utilisation de la mer humaine, compatible avec la survie de la faune protégée qui l’habite. »
Les règles seraient complexes car elles devaient être adaptées aux caractéristiques des différents types de navires susceptibles de causer des blessures aux animaux marins.
Son efficacité consisterait à éviter les zones de plus forte concentration d’animaux et à la réduction de la vitesse des bateaux dans ces lieux, a-t-elle déclaré.
Les mammifères marins ont été gravement touchés ces dernières années. La population de dauphins a été considérablement réduite. Des études ont démontré que les globicéphales tropicaux vivent dans un stress constant. Tous les animaux de la région ont presque deux fois plus d’hormone de stress, le cortisol, dans leur corps. qu’à l’habitude.
Traduction : C’est assez !
Source : Maritime Herald
Crédit photos : ©Francis Pérez