Article original de Elizabeth Preston, publié sur le blog de Discover Magazine le 20 octobre 2017.
Traduction: Margaux Leath
Au mois de novembre 2013, un béluga femelle de 4 ans a été transféré dans son nouvel habitat. Dans son ancienne structure elle vivait avec d’autres bélugas, mais dans son nouveau bassin, au Delphinarium Koktebel en Crimée, ses seuls compagnons sont des dauphins. Le cétacé s’est rapidement adapté : elle a commencé à imiter le sifflement caractéristique des dauphins et a complètement abandonné celui des bélugas.
Vivant sans aucun de ses congénères, la femelle béluga a changé de langage pour s’adapter à ses compagnons d’infortune. Crédit photo: Shutterstock /Andrii Zhezhera |
« A l’arrivée du béluga au delphinarium, les dauphins ont été effrayés, » expliquent Elena Panova et Alexandr Agafonov de l’Académie des Sciences de Russie, à Moscou. Dans le bassin, il y avait des grands dauphins, un mâle adulte, deux femelles adultes et un jeune mâle. Mais les animaux se sont rapidement entendus à merveille. En août 2016, l’une des femelles a donné naissance à un delphineau qui nage régulièrement aux côtés du béluga.
Les chercheurs étaient curieux de savoir ce que se disaient ces nouveaux camarades de bassin. C’est bien connu, les dauphins sont des animaux bavards. Leurs sons comprennent des clics d’écholocation et des signatures sifflées propres à chaque dauphin, un peu comme leur nom. Mais pour ce qui est de la communication vocale, les bélugas sont de véritables virtuoses. En plus de leur riches répertoires de cris, de sifflements et autres vocalisations, ils parviennent à imiter les autres animaux ou les êtres humains. Un béluga vivant en captivité a ainsi réussi à imiter le langage humain d’une telle façon qu’un soigneur plongeant dans le bassin s’y est laissé prendre.
Panova et Agafonov étudient les communications acoustiques des animaux du delphinarium depuis 2010. Immédiatement après l’arrivée du béluga, ils ont enregistré les sons produits par tout le groupe lorsqu’ils nageaient ensemble. Deux mois plus tard, ils ont isolé le béluga dans un autre bassin pour faire une dizaine de courtes séances d’enregistrement. Ils ont fait davantage d’enregistrements neuf mois après, soit un total de plus de 90 heures de bande-son.
Durant les premiers jours suivant son arrivée dans le bassin des dauphins, la femelle béluga a émis des « sons typiques de son espèce », écrivent Panova et Agafonov. Elle a émis des sifflements, des sons qui ressemblaient à des émissions de voyelles, et surtout des sons à deux tons qui semblaient être sa signature sifflée. Tout comme les sifflements qui permettent aux dauphins de s’identifier, ce sont les sons que produisent les bélugas pour rester en contact avec les autres membres du groupe. Les mères bélugas et leurs petits les utilisent pour savoir où se situe l’autre, comme le font les bélugas amis ou apparentés.
Mais lors de la session d’enregistrement marquant les deux mois de cohabitation du béluga, elle produisait de nouvelles combinaisons. Elle faisait toujours ses propres sifflements et des sons vocaliques, mais elle y avait ajouté des sons qui ressemblaient aux signatures sifflées des trois dauphins adultes de son groupe. Elle émettait aussi des sifflements que tous les dauphins partageaient et paraissait avoir complètement abandonné les sifflements spécifiques à son espèce.
Pendant la session d’enregistrement suivante, le répertoire du béluga restait le même. Panova et Agafonov se sont dit « déçus » de ne pas avoir pu enregistrer le béluga seul plus tôt, ils auraient alors peut-être pu découvrir qu’elle imitait le sifflement du dauphin bien avant deux mois. Dans une autre étude, écrivent-ils, un béluga adulte imitait un son dès la première écoute.
Panova fait remarquer que bien que d’autres études existent sur la capacité des bélugas à imiter les sons, tels que ceux du langage humain, le chant des oiseaux ou des bruits générés par ordinateur. Cette femelle béluga en particulier imitait les sons qui lui permettaient de communiquer avec les animaux vivants avec elle. La motivation du béluga, qui devait se sentir isolée, a pu être de vouloir rejoindre le groupe social formé par les dauphins. « Ce cas ferait un exemple de la communication inter-espèces très intéressant », conclut Panova.
Commentaire de C’est Assez!
Cet article très intéressant montre les aptitudes extraordinaires des cétacés, en particulier des bélugas. Cette étude démontre que ces animaux ont un comportement social très développé, un besoin insatiable de communiquer et des capacités cognitives insoupçonnées.
Ce que l’article ne dit pas en revanche, c’est combien les cétacés souffrent en captivité et de ces cohabitations forcées. Les dauphins de ce delphinarium de Crimée ont été capturés à Taiji, tandis que cette femelle a très certainement été capturée dans les eaux russes. Enfermer ces êtres intelligents dans des bassins n’est pas éthique, que ce soit à des fins de divertissement ou au nom de la « science ».