L’écholocation est l’une des créations les plus fascinantes et complexes de la nature. Il permet aux dauphins, qui vivent dans un monde en 3 dimensions (surface, profondeur et son), d’explorer leur environnement en interprétant les échos des ondes sonores qui rebondissent sur les objets dans l’eau.
L’écholocation est utilisée par les dauphins pour se déplacer, pour chasser ou pour décrypter leur environnement. Pour cela, ils utilisent leur oreille interne et les ultrasons qu’ils émettent.
Le dauphin envoie des ondes en direction d’un animal, d’un objet ou d’un obstacle grâce à son melon, l’équivalent du front pour les cétacés.
Ces ondes sonores, une fois entrées en contact avec l’obstacle, rebondissent sur cet obstacle et sont ensuite captées par le dauphin grâce à l’os de sa mâchoire inférieure pour être transmises à l’oreille interne.
Ce phénomène donne au dauphin des informations précises sur son environnement : distance de l’obstacle, de la proie ou du prédateur, sa taille, sa forme, sa texture, etc.
Grâce à l’écholocation, les cétacés communiquent avec leur environnement et se repèrent dans l’océan.
Dans les delphinariums, les dauphins passent leurs journées dans des bassins désespérément vides, aux parois lisses et austères. Pour des animaux si curieux, passant énormément de temps à explorer leur milieu, ce vide est générateur d’ennui.
Pour l‘industrie de la captivité, cet ennui est providentiel. Il est maintenu et entretenu ce qui permet aux dresseurs de mieux capter l’attention des dauphins durant les sessions de dressage ou durant les spectacles.
De plus, dans un bassin, les sons se répercutent tellement sur les parois de verre et de béton que les dauphins sont amenés à mettre ce sens en veilleuse car, non seulement il leur devient inutile mais il engendre de l’inconfort et de la souffrance pour ces animaux.
Depuis qu’ils sont dans leur enclos de réhabilitation, Rocky, Rambo et Johnny, anciens dauphins captifs, chassent des poissons vivants dans l’enclos de recherche de nourriture.
L’équipe qui s’occupe d’eux, les observe sous l’eau pour déterminer combien de poissons ils attrapent.
C’est bien loin de ce qu’ils ont vécu lorsqu’ils étaient confinés dans un bassin en béton, mendier des poissons morts comme récompense alimentaire pour avoir un bon comportement (soit obéir au dresseur comme le font les dauphins captifs dans les delphinariums tous les jours).
On entend Rocky, Rambo et Johnny utiliser leur écholocation pendant la chasse, et on les voit chasser le poisson à grande vitesse.
Les clics continus de Rocky, Rambo et Johnny me rappellent une conversation que j’ai eue il y a des années avec une dresseuse de dauphins nommée Sabrina. À l’époque, elle travaillait dans une installation danoise qui garde des marsouins communs, marsouins capturés dans la nature, en captivité.
Elle m’a dit qu’elle avait déjà travaillé au delphinarium d’Harderwijk, aux Pays-Bas.
Le Dolphin Project a participé à plusieurs manifestations devant ce delphinarium. Avant l’une de ces manifestations, je suis entrée dans le delphinarium avec Femke den Hass, qui est la directrice de campagne du Dolphin Project en Indonésie.
Nous voulions observer et documenter les conditions de vie des dauphins détenus dans ce delphinarium.
Suivant les ordres de leurs dresseurs, les dauphins ont docilement parcouru leur répertoire de comportements dressés, tels que marcher sur la queue, « chanter » et s’échouer sur la plate-forme en béton.
A la fin du spectacle, les dauphins retournèrent dans leur bassin stérile, gisant là, dans leurs prisons, mornes, sans rien faire et nulle part où nager.
C’était déchirant de les voir ainsi dans l’eau stagnante, entourés de murs de tous côtés et ne pas avoir assez d’espace pour nager normalement. Leur vie était à l’arrêt et ils ne pouvaient nager que quelques mètres avant de heurter un mur.
Des centaines de dauphins sont coincés dans des bassins en béton partout dans le monde et exploités pour le spectacle.
Je me demande souvent à quoi cela ressemble pour ces êtres sonores complexes de se retrouver incarcérés dans de minuscules bassins où leurs capacités naturelles ne peuvent trouver aucune expression.
Ils ne peuvent utiliser leur impressionnante écholocation pour aucune des choses qu’ils feraient dans la nature. Ils ne peuvent pas l’utiliser pour attraper des poissons vivants, car les dresseurs leur fournissent des poissons morts comme récompenses alimentaires lors des spectacles, des programmes de nage avec les dauphins et des sessions de dressage. Ils ne peuvent pas l’utiliser pour explorer leur monde sous-marin car il n’y a rien à étudier dans un bassin stérile et sans vie. Ils ne peuvent certainement pas l’utiliser pour naviguer car ils n’ont nulle part où aller. Leur écholocation est « gaspillée », et il est inconcevable pour moi que certaines personnes pensent encore qu’il soit justifiable de retenir ces esprits brillants dans un monde aussi sombre et vide.
La privation sensorielle à laquelle les humains les soumettent est tout simplement cruelle.
J’ai demandé à Sabrina ce qu’elle en pensait :
« N’y a-t-il même pas une petite partie de vous qui pense qu’il est mal de confiner ces créatures sonores dans des bassins en béton ? »
Sans hésiter un instant, elle m’a répondu : « Non, pas du tout. Peu importe si les dauphins dans un aquarium ne peuvent pas utiliser leur sonar parce que dans un aquarium ils n’en ont pas besoin ».
Elle souriait en disant cela, comme si cela avait un sens parfait. Mais ce n’était pas le cas, du moins pas pour moi. Je pense que c’est un peu comme enfermer un être humain dans une pièce sombre, le nourrir trois fois par jour, et dire que ça n’a pas d’importance qu’il ne puisse pas utiliser sa vision parce que ses besoins physiques sont satisfaits, et qu’il n’a pas besoin de sa vision pour quoi que ce soit.
Mais ce n’est pas parce que ses ravisseurs gardent cet être humain en vie qu’il ne lui manque pas sa liberté et sa capacité à utiliser sa vue.
Je suis convaincue qu’il en est de même pour les dauphins. Vivre en accord avec leur vraie nature et mettre toutes leurs capacités naturelles à profit remplit leur vie de but, de vitalité et de qualité.
L’utilisation de l’écholocation signifie sans aucun doute beaucoup plus pour les dauphins que nous ne pouvons même l’imaginer de notre point de vue limité, et écarter cette capacité comme non pertinente en disant que les dauphins captifs n’en ont pas « besoin » constitue une combinaison égoïste d’arrogance humaine et de supériorité. C’est la même chose que de dire que la nature n’a vraiment aucune idée de ce qu’elle fait, et que des millions d’années d’évolution ne valent pas la peine de lui prêter attention.
Rambo, Rocky, Johnny et tous les autres dauphins qui se sont retrouvés à l’hôtel Melka Excelsior de Lovina, au nord de Bali, étaient confinés dans des piscines peu profondes. Entre les spectacles et les séances de nage avec les dauphins, on pouvait les voir évoluer en petits cercles ou regarder un mur de béton.
En 2019, Lincoln O’Barry, Femke den Haas et notre équipe indonésienne de sauvetage de dauphins ont déterminé que Dewa, Johnny, Rambo et Rocky, tous capturés dans la nature, n’utilisaient plus leur écholocation, sauf lorsque leurs entraîneurs le leur demandaient.
« Les dauphins qui ont été utilisés dans le soi-disant programme de thérapie assistée par les dauphins de l’hôtel ont été formés pour envoyer une série de clics sur commande », explique Femke. Dewa, aujourd’hui décédée, était fréquemment exploitée dans le cadre du programme douteux de thérapie par les dauphins de l’hôtel, qui s’adressait principalement aux familles russes avec des enfants autistes.
Le programme delphinothérapie de l’hôtel était basé sur l’idée que l’écholocation d’un dauphin peut en quelque sorte guérir les humains de toutes sortes de maladies. A l’époque, une annonce publiée en ligne promettait une amélioration de l’autisme, des maux de dos et d’autres problèmes de santé.
Mais les dauphins ne peuvent pas guérir les gens, et même s’ils le pouvaient, cela ne justifierait jamais de détruire leur vie en les capturant et en les confinant.
Les dauphins captifs ne peuvent même pas se soigner eux-mêmes, et les dauphins de l’hôtel Melka ont sans aucun doute souffert chaque jour de leur capture et de leur confinement.
Je suis sûr que Rocky, Rambo et Johnny se souviennent encore de leur capture violente dans la mer de Java il y a des années, et je pense aussi qu’ils se souviennent du trajet de 30 heures en camion qu’ils ont subi pour arriver jusqu’à l’hôtel Melka.
Ces années à « balader » des gens et à exécuter des tours dans des spectacles théâtraux feront toujours partie de leur expérience de vie, et nous ne pouvons pas changer cela. Mais nous pouvons laisser la nature reprendre le dessus autant que possible, et à l’Umah Lumba Rehabilitation, Release, and Retirement Center, dans la baie de Banyuwedang, à l’ouest de Bali, ils peuvent enfin à nouveau utiliser leur système d’écholocation pour attraper des proies vivantes.
Femke et notre équipe indonésienne de soigneurs de dauphins donnent du poisson vivant aux dauphins depuis mai 2020.
« Nous avons une excellente collaboration avec les habitants de la région qui connaissent notre projet de sauvetage des dauphins. Avant même de construire l’enclos marin, nous nous sommes présentés à la communauté locale et leur avons fait savoir que nous aimerions travailler avec des pêcheurs locaux pour obtenir du poisson vivant pour les dauphins », explique Femke.
En raison de l’intérêt et de l’engagement des pêcheurs de la région, nous sommes en mesure d’introduire de nombreux types de poissons vivants dans l’enclos des dauphins. Entendre Rocky, Rambo et Johnny utiliser l’écholocation pour attraper le poisson est incroyable, et j’aimerais que la dresseuse de dauphins à qui j’ai parlé il y a des années puisse aussi en faire l’expérience. Peut-être qu’alors changerait-elle d’avis.
Peut-être se rendrait-elle compte qu’utiliser leur impressionnante compétence d’écholocation pour identifier les proies, naviguer, voyager et explorer leur environnement est ce que la nature a prévu pour les dauphins, et que nous n’avons pas le droit de leur enlever cela.
Il n’appartient pas aux humains de déterminer quels sont les besoins d’un dauphin.
C’est la nature, et la nature a clairement indiqué que les dauphins appartiennent aux océans où leur capacité hautement évoluée à « voir » avec le son sert à quelque chose, sert un objectif.
Helene O’Barry
Source : Dolphin Project
Traduction : C’est assez !
Photos : ©Dolphin Project
Légendes photos :
1 – dauphin captif
2 -Une fois le spectacle terminé, un dauphin flottant à la surface de l’eau dans son bassin à l’Attica Zoo en Grèce – Rien à explorer et nulle part où aller
3 – Le bassin de dressage, tout en acier du Miami Seaquarium, qui a été utilisé pour certains des cinq dauphins qui ont joué le rôle de « Flipper ».
4 – Angel, le dauphin albinos emprisonné dans un tunnel de verre et de béton au Taiji Whale Museum au Japon. Selon l’industrie de la captivité des dauphins, un bassin stérile comme celui-ci est un habitat parfaitement adapté pour les dauphins.
5 – Dewa (à gauche) et Johnny se sont languis durant plus d’une décennie dans ce bassin peu profond de l’hôtel Melka Excelsior au nord de Bali, en Indonésie.
6 – Rocky, Rambo et Johnny guérissent et s’épanouissent à l’Umah Lumba Rehabilitation, Release and Retirement Center à Bali, en Indonésie.