C'est assez

Article du Journal Le Monde du 07 Avril 2017

La réforme des delphinariums bloquée par Royal 
Le projet, en discussion depuis vingt mois, doit notamment interdire la reproduction des orques en captivité 

Un article de Audrey Garric, publié dans le journal Le Monde le 7 avril 2017.
Spectacle de dauphins au Marineland d’Antibes.
Les dauphins et les orques en captivité verront-ils enfin leurs conditions de vie améliorées ? La question est posée alors qu’un arrêté interministériel sur « les règles de fonctionnement des établissements détenant des cétacés » est toujours en suspens. Le texte, en discussion depuis vingt mois entre le gouvernement, les professionnels et les associations, doit abroger une législation devenue obsolète, datant de 1981, et fixer des normes plus draconiennes pour les delphinariums.

Sa rédaction avait été achevée, il était signé par trois ministres, et aurait dû être publié au Journal officiel « en début de semaine », comme l’indiquait une lettre datée du 31 mars adressée à cinq ONG par la secrétaire d’Etat à la biodiversité, Barbara Pompili, dont Le Monde a pu prendre connaissance. Mais il a été bloqué à la dernière minute par sa supérieure hiérarchique, Ségolène Royal, pour « refaire un point avec les ONG ». « Les consultations n’étaient pas terminées et le texte peut être encore amendé », précise son cabinet. « Je ne vois pas comment on pourrait améliorer le texte dès lors que l’on est parti du principe d’autoriser les delphinariums à fonctionner », rétorque un expert proche du dossier.

Selon plusieurs sources, la ministre de l’environnement s’inquiète de la publicité négative que pourraient faire les associations de défense des animaux, qui luttent pour la fin pure et simple de la captivité des cétacés et jugent donc le texte insuffisant. C’est pourtant Ségolène Royal qui avait engagé la remise à plat de l’ancienne législation à la suite des amendements déposés dans le cadre de la loi biodiversité.
«Progrès»

Vendredi 7 avril, deux ONG, C’est assez ! et la Fondation Droit Animal, éthique et science, ont écrit à la ministre pour lui demander de publier l’arrêté, craignant qu’il ne voie jamais le jour, à un mois de la fin du quinquennat. Elles s’y engagent « à mettre en avant les avancées du texte dès sa parution». Les autres associations, en désaccord, n’ont pas suivi, alors que les critiques se font toujours plus virulentes contre l’exploitation des cétacés.
« C’est un progrès pour les animaux. Il vaut mieux avoir cet arrêté, même imparfait, plutôt de rester sur celui de 1981», assure Christine Grandjean, présidente de C’est Assez!, spécialisée dans la défense des cétacés captifs. Nous regrettons toutefois qu’il ne contienne pas trois demandes importantes: l’arrêt de la reproduction en captivité des dauphins, la fin des spectacles avec des animaux, et l’interdiction de l’ouverture de nouveaux établissements en France.»

La dernière version de l’arrêté affiche une avancée demandée de longue date par les écologistes: l’arrêt de la reproduction des orques en captivité. Les quatre épaulards détenus au Marineland d’Antibes seront donc les derniers de leur lignée. 

« Cela conduit, à terme, à la fin de leur captivité en France », se réjouit Florian Sigronde, chargé du dossier à la Fondation droit animal. La mesure n’a toutefois pas été étendue à la trentaine de grands dauphins qui évoluent dans ce parc zoologique des Alpes-Maritimes, ainsi que dans le Parc Astérix (Oise), Planète sauvage (Loire-Atlantique) et au Moorea Dolphin Center (Polynésie française).

Plus largement, le texte améliore les conditions de détention de ces animaux. Il prévoit d’augmenter la taille des bassins, pour atteindre une surface minimale de 3 500 m2 pour les orques, et de 2000 m2 pour les dauphins, contre 800 m2 pour l’ensemble des cétacés dans la législation de 1981. Quant à la profondeur, elle doit au moins atteindre, sur « la moitié de la superficie totale », 11 m pour la première espèce et 6 m pour la seconde. Les établissements disposent de cinq ans pour se mettre en conformité. « Cela ne représente malgré tout que 1 % des volumes dans lesquels évoluent ces animaux dans la nature, avertit Christine Grandjean. Les dauphins parcourent de 100 km à 150 km par jour, tandis que les orques plongent à 200 mètres. »

Parmi les autres avancées, les delphinariums devront prévoir des « enrichissements des bassins » (courants, vagues, cascades, etc.) pour éviter « l’ennui et la frustration des animaux », des zones d’ombre, et ne plus utiliser de chlore. Le projet de réglementation interdit également, dans un délai de six mois, l’échouage des animaux pour les spectacles, les présentations nocturnes, les effets sonores et lumineux « pouvant entraîner du stress pour les animaux » et les contacts directs entre le public et les cétacés. Il ne sera donc plus possible de nager avec les dauphins, une activité lucrative pour les parcs marins.
« Ce texte, très positif, va imposer d’importants travaux aux établissements, juge Rodolphe Delord, président de l’Association française des parcs zoologiques et directeur du zoo de Beauval. Ils ont pris du retard du point de vue de la taille des bassins, de la gestion de l’eau et de l’enrichissement du milieu. » Coût estimé des investissements : entre 10 et 20 millions d’euros par parc.

La filière se dit prête à assumer ce chantier, « pour le bien-être animal » mais aussi afin de redorer son image. « Nous sommes impatients que le texte sorte pour mettre fin aux polémiques, explique Jon Kershaw, le directeur animalier de Marineland. Nous avons fait des erreurs dans les années 1970, mais la capture d’animaux en milieu naturel est interdite depuis longtemps.» Et de balayer les accusations : les delphinidés ne sont pas affamés pour faire les numéros. « La majorité de nos cétacés sont nés en captivité et n’en souffrent donc pas. Leur maison est le bassin. »

«Stress» et «ennui»

Une vision idéalisée que récusent les associations. « La captivité n’est pas adaptée aux besoins physiologiques des animaux. Elle entraîne du stress, de l’ennui, des souffrances et de nombreuses maladies qui peuvent provoquer la mort », rétorque Christine Grandjean. Elle en veut pour preuve une espérance de vie des cétacés réduite dans les bassins par rapport aux océans, « alors que dans ces derniers, ils sont menacés par la pêche et les pollutions ».
« Malgré les grandes améliorations, leurs conditions de vie sont loin d’être idéales en captivité, confirme Christophe Guinet, directeur de recherches au CNRS et spécialiste des mammifères marins. Mais si l’on fermait les delphinariums, il faudrait savoir quoi faire des animaux, qui seraient incapables de s’adapter au milieu naturel. Peut-être un système de semi-liberté dans un bras de mer… »
En Europe, plusieurs pays ont interdit les delphinariums ou s’en sont détournés. Au Royaume-Uni, tous les parcs ont fermé dans les années 1990, en raison de coûts de mise aux normes trop élevés. 


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