C'est assez

Morgan Doit Rentrer Chez Elle!

En juin 2010, une petite orque maigre et perdue errait dans la mer des Wadden, aux Pays-Bas. Un permis pour la secourir et la réhabiliter fut délivré et le delphinarium d’Harderwijk lui vint en aide… avant de lui apprendre des tours contre une ration de poissons morts. Près de 6 ans plus tard, Morgan se retrouve à quelque 3000 kilomètres de là, au Loro Parque de Ténérife, aux Canaries (en Espagne). Sur le papier, elle appartient à SeaWorld. Un tour de passe-passe difficile à comprendre, une sombre histoire de blanchiment révélée dans un « livre blanc » paru il y a quelques mois, des procès injustes qui n’ont abouti qu’à un résultat tragique: la jeune femelle est maintenant confinée dans un bassin. Un espace qu’elle partage avec des individus qui ne parlent pas le même langage qu’elle et qui la harcèlent, où elle est exploitée et doit sans doute subir des traitement hormonaux afin qu’elle perpétue la malheureuse lignée d’orques captives. Car ce sont ses gènes frais qui ont, dès le début, attisé la convoitise des parcs.
Morgan dans la mer des Wadden. Source: ICI
Morgan lors de son sauvetage. Source: ICI
Morgan au delphinarium d’Harderwijk, aux Pays-Bas. Source: ICI
Avec l’annonce soudaine de SeaWorld concernant son intention d’arrêter son programme de reproduction de ses orques, l’espoir renaît pour toutes les personnes qui défendent Morgan. En effet elle appartient au groupe SeaWorld d’un point de vue légal, est donc prêtée à Loro Parque et ainsi, devrait en toute logique être concernée par cette décision.
Décision d’ailleurs commentée par le parc canarien, dans un communiqué pour le moins ambigu.

« Étant donné que les orques ne sont pas la propriété de Loro Parque, nous respectons la décision prise par SeaWorld. L’Administration Espagnole et l’Administration Communautaire exigent, à l’heure actuelle, la présentation d’un plan d’élevage en vue de l’introduction d’une espèce dans un parc zoologique, car ils considèrent la reproduction comme un droit inné chez tous les animaux. Il s’agit, par conséquent, d’un des rôles et obligations majeurs des parcs zoologiques. » Extrait du communiqué publié le 18 mars 2016, soit le lendemain de l’annonce de SeaWorld. 

L’ambiguité semble être la spécialité des parcs marins, et de Loro Parque en particulier. Surtout lorsqu’il s’agit de Morgan. En voici quelques exemples, tirés de mes échanges par email avec Mme Patricia Delponti, directrice de la communication et de l’image à Loro Parque.  Morceaux choisis.

Incohérences


Mme Delponti: « Nous n’avons jamais formulé de requête pour que Morgan soit transférée à Loro Parque, et elle n’ajoute aucune valeur commerciale à notre entreprise. »

Pourtant, Morgan participe à tous les spectacles, comme toutes les autres orques. Ils se servent donc bien d’elle pour assurer leurs shows. Ils se gargarisent également de lui avoir offert un meilleur habitat qu’à Harderwijk (effectivement, le bassin dans lequel elle vivait est très petit et très peu profond), se faisant ainsi passer pour des sauveurs. Sur leur blog, ils mettent Morgan en avant dans un article où ils la montrent avec une hollandaise sourde et muette qui a eu un coup de coeur pour elle lorsqu’elle était au delphinarium hollandais, et qui revient la voir régulièrement à Loro Parque. Et si, par un « heureux hasard », Morgan donnait naissance à un petit, cela n’ajouterait-il pas davantage de valeur commerciale à leur parc, en attirant les visiteurs ?

Morgan (à droite) participe à tous les spectacles de Loro Parque (ici avec Tekoa et Adan). Source: Page Facebook Loro Parque Orcas

A propos de sa possible réhabilitation
Mme Delponti: « Sa famille n’a jamais été trouvée. »


Faux, Mme Delponti. Grâce à de longues recherches et à des comparaisons entre les vocalisations de Morgan et celles d’orques libres de Norvège, les scientifiques (dont Heike Vester, une cétologue réputée pour ses recherches sur les orques) ont réussi à confirmer son appartenance à cette population. Chaque pod d’orques a son propre « dialecte » et leurs « signatures accoustiques » sont par conséquent identifiables. Les experts ont pu montrer que 77.7% des vocalisations de Morgan correspondaient à celles émises par les membres du pod P. Selon les conclusions d’Heike Vester et de Filippa Samarra qui ont toutes deux fait ces recherches, Morgan est donc bel et bien apparentée à ce pod. 
Voir leurs conclusions et télécharger le rapport complet ici.

Crédit photo: Heike Vester / oceansounds.com / FreeMorgan.org

Mme Delponti: « Elle (Morgan) souffre d’un problème d’ouïe qui l’empêcherait de détecter des proies dans l’eau, ou de communiquer avec les autres orques. » 


Les déclarations de Loro Parque à ce sujet ne se basent que sur une seule expérience, conduite en novembre 2012, avec des méthodes contestables et menée par des « experts » payés par… Loro Parque! A chaque fois que les cétologues et experts de la Free Morgan Foundation ont demandé à faire d’autres tests pour confirmer ce diagnostic -qui est un point-clé dans le dossier de Morgan, Loro Parque leur a systématiquement refusé l’entrée du parc. 
Par ailleurs, si cette déficience était avérée, cela ne prouve en aucune façon que Morgan ne pourrait détecter des proies dans l’océan. Les orques se servent principalement de leur sonar pour chasser, un système d’écholocation très performant dont tous les dauphins* se servent pour appréhender leur environnement. Cela consiste à envoyer des ultrasons qui se répercutent sur les objets ou les proies et reviennent par échos au dauphin jusqu’à son oreille interne. Certains dauphins âgés qui ont des problèmes d’audition continuent à utiliser l’écholocation en envoyant des sons à fréquences plus basses que les dauphins plus jeunes, comme on peut le lire dans cet article. En d’autres termes, il s’adaptent! 
* Les orques font partie de la famille des dauphins.

L’écholocation ou écholocalisation permet aux cétacés d’appréhender leur environnement.

Il existe par ailleurs un article scientifique qui porte sur un dauphin complètement sourd (ce qui n’est pas le cas de Morgan!) vivant dans l’océan avec ses congénères et qui survit sans aucun problème, se servant de la vue et de son observation des autres dauphins.

Mais bien entendu, pas un seul mot sur ce dauphin ou l’écholocation des orques dans ses réponses, Loro Parque pense sûrement que la plupart des gens se contentent de cette réponse « Morgan souffre d’une déficience auditive, elle ne pourrait pas survivre dans la nature avec ce handicap. » Comme c’est pratique…

Mme Delponti: « Certaines (…) organisations vont jusqu’à proférer de fausses accusations à l’encontre de Loro Parque concernant le bien-être de Morgan dans notre parc. Loro Parque rejette fermement ces accusations, et nos avocats préparent des actions légales contre les auteurs de ces attaques qui sont basées sur des déclarations mensongères, et contre quiconque les propagent. »

Cet échange date de septembre 2014… Nous sommes en 2016, et toujours pas de poursuites judiciaires en vue. De deux choses l’une: soit leurs avocats sont vraiment très lents, soit ils sont dans l’incapacité de prouver que lesdites organisations mentent. 

Alors, qui ment dans cette histoire?

Pourquoi Morgan doit être réhabilitée

Contrairement à ce que Loro Parque affirme, Morgan est loin de se porter à merveille dans leur bassin chloré. A son arrivée dans le parc, il y avait déjà 5 orques: les mâles Keto, Tekoa, et Adan et les femelles Kohana et Skyla.  De manière générale, on ne peut pas dire que les compagnons de Morgan soient très équilibrés… 
Kohana étant la femelle la plus âgée du groupe, elle doit endosser le rôle de « matriarche », à seulement 14 ans. Dans la nature, ce sont des femelles beaucoup plus âgées et expérimentées qui sont les matriarches de leur pod. Kohana a eu deux petits, Adan et Victoria (Vicky) qu’elle a rejetés tous les deux, n’étant probablement pas assez âgée pour devenir mère et ayant elle-même été séparée de sa mère trop jeune. Victoria, la femelle à qui elle a donné naissance, est morte à l’âge de 10 mois. Vicky et Adan ont pour géniteur Keto, qui n’est autre que l’oncle de Kohana. Ils sont donc consanguins à 6,5 %. 
Keto est quant à lui l’orque qui a tué le dresseur Alexis Martinez en décembre 2009. Tilikum et lui sont donc les deux seuls épaulards à avoir tué des humains… ce qui – tout comme la consanguinité- ne se produit jamais dans la nature.
Les orques de Loro Parque ont des comportements stéréotypés, ils ont les dents abîmées à force de mâcher le béton des murs de leur bassin. Certains se laissent flotter à la surface, d’autres s’échouent… On ne peut pas dire que cela témoigne d’une bonne santé physique et mentale !

Tekoa, tout comme Keto, a les dents très abîmées.
Source: SeaWorldOfHurt
Keto se laissant flotter près du portail après le spectacle.
 Source: SeaWorldOfHurt

Adan s’échouant spontanément. Pour chercher de la nourriture? Ou par ennui?
Source: SeaWorldOfHurt

Morgan a subi de nombreuses agressions depuis son arrivée. D’une part, l’orque ne parle pas le même langage que les individus avec lesquels elle vit, et qu’elle n’aurait jamais croisés dans la nature (Morgan est d’un écotype différent de celui des autres orques.) 
Son arrivée a certainement bouleversé le très fragile équilibre de ce groupe artificiellement formé et elle en a fait les frais… En 2012, les traces de morsures que l’on peut voir sur ces photos témoignaient de l’agressivité et du stress qu’elle subissait.

Crédit photo: freemorgan.org
Crédit photo: freemorgan.org

En plus de se faire attaquer par les femelles, Morgan se fait aussi harceler par les mâles adultes du parc, dont on ne la sépare pas bien évidemment… Loro Parque semble n’avoir qu’une idée en tête: qu’elle se reproduise. Malgré son jeune âge. Malgré son mal-être évident. Datée du 23 février 2016, une vidéo sur laquelle on voit un dresseur de Loro Parque pratiquer une échographie sur Morgan laisse peu de doutes quant à l’obsession du parc à ce sujet. 


L’avenir

De toutes les orques captives, Morgan est certainement l’une des meilleures candidates à la réhabilitation. Elle est encore jeune, sa famille est identifiée, et elle pourrait parfaitement rejoindre l’océan en étant transférée dans un sanctuaire marin (du moins dans un premier temps.) Son existence pourrait-elle être plus triste que celle qu’elle mène depuis bientôt 6 ans? Pour faire comprendre au public à quel point Morgan a souffert, des réalisateurs indépendants ont réalisé ce film court, intitulé « I am Morgan ~ Stolen Freedom » (en français: « Je suis Morgan ~ Liberté Volée »). 

De nombreuses personnes travaillent d’arrache-pied pour que Morgan retrouve enfin la liberté dont on l’a injustement privée. Notamment le Dr. Ingrid Visser qui a présenté en août 2015 un projet de sanctuaire pour les cétacés captifs lors d’une conférence
Innovant, audacieux et écologique, ce projet serait une formidable solution pour mettre fin à la souffrance de tous les cétacés qui souffrent en captivité. Les spécialistes ayant mis au point les plans de ce projet ambitieux ont mis tout leur savoir-faire et toute leur expérience professionnelle afin de ne rien laisser au hasard.
Sur ces captures d’écran, on imagine parfaitement ce que cela changerait pour les animaux que de vivre dans ce sanctuaire plutôt que dans des bassins stériles en béton. 

Conçu à partir d’une île existant réellement, ce projet inclut différentes zones, dont des enclos médicaux pour les animaux qui nécessiteraient des soins.
Les visiteurs pourraient voir les animaux en se promenant dans un tunnel en verre.
Les bâtiments fonctionneraient grâce à l’énergie solaire et grâce à des éoliennes sans hélice.
Dans un tel sanctuaire, Morgan pourrait réapprendre à vivre dans son milieu naturel avant de rejoindre les siens. Les cétacés non-réhabilitables pourraient y couler des jours heureux et avoir une paisible retraite bien méritée après une vie d’exploitation. 
Des solutions pour leur rendre une vie plus digne existent. Il faut à présent convaincre les parcs d’y adhérer. Poussé par la pression du public, SeaWorld a fait un pas dans la bonne direction en décidant d’arrêter la reproduction de ses orques. 
Les sanctuaires marins doivent être la prochaine étape pour ces animaux, et pour tous les cétacés. Leur calvaire a assez duré.

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