C'est assez

Attrape SeaWorld Si Tu Peux

Copyright: freemorgan.org

Article original de Sam Lipman: Catch SeaWorld If You Can – The Dodo

Traduction: Alexandra Thomas
SeaWorld a-t-il « blanchi » une orque née en liberté ? Si l’on s’en tient à la définition du mot blanchiment, « commerce illégal qui n’est ni permis ni autorisé par la loi, qui s’opère en toute discrétion et qui inclut des activités ne pouvant être considérées comme moralement acceptables », il semblerait bien que ce soit le cas.

D’après un « livre blanc » impressionnant paru récemment, SeaWorld Entertainment Inc. a été le bénéficiaire principal d’un acte de commerce illégal d’animaux sauvages au moins au cours des quatre dernières années, et la franchise commerciale ne travaillait pas seule. Le Loro Parque en Espagne et le Dolfinarium Harderwijk aux Pays-Bas sont complices avec SeaWorld dans l’acquisition illégale d’une orque femelle norvégienne juste sous le nez des autorités publiques.
SeaWorld a acquis illégalement une orque femelle norvégienne sauvage, sous le nez de tout le monde, avec la complicité du Loro Parque en Espagne et le Dolfinarium Harderwijk aux Pays-Bas.

Le livre blanc, écrit par la biologiste, spécialiste des orques Ingrid Visser et par l’avocat Matthew Spiegl décortique les lois américaines, espagnoles et hollandaises ainsi que celles de l’Union Européenne pour faire la lumière sur ce tour de passe-passe frauduleux mis en œuvre par trois des acteurs majeurs de l’industrie de la captivité des cétacés.

La jeune orque en question, connue sous le nom de Morgan, était seule et décharnée lorsqu’on la trouva au large des Pays-Bas. Elle fut capturée par le Dolfinarium Harderwijk en vue d’une réhabilitation. Selon le permis qui a autorisé son sauvetage, Morgan aurait dû être remise en liberté. Plus de 30 experts s’accordèrent à dire qu’elle était disposée à être relâchée. Mais malgré ces faits, les tribunaux néerlandais décidèrent d’envoyer Morgan à Loro Parque. Morgan vit toujours dans le parc espagnol en compagnie de cinq orques appartenant à SeaWorld, dont quatre ont été prêtées et transportées par avion à Loro Parque en 2006 (le cinquième étant né dans le parc l’année de la capture de Morgan). A un moment donné, SeaWorld aussi a voulu s’emparer de Morgan.

Visser explique: « Au fur et à mesure que la situation de Morgan évoluait, il devenait tout à fait clair que de nombreuses choses ne tournaient pas rond. Certains aspects de l’affaire qui devaient être évoqués dans les tribunaux des Pays-Bas furent écartés ou ignorés. A ce moment, les juges ont simplement privé Morgan de tous ses droits légaux dans le seul but de simplifier les choses et d’y voir plus clair dans cette situation chaotique. » Avec le temps, Visser s’est rendue compte d’une chose: « Plus nous creusions cette affaire, plus il nous paraissait évident que nous ne nous étions pas trompés: quelque chose ne tournait pas rond. »
Morgan au delphinarium d’Hardewijk
Crédit photo: Ingrid Visser / www.freemorgan.org
Durant les cinq années qui ont suivi la capture de Morgan, Visser et Spigel ont rassemblé des détails provenant de nombreuses requêtes, aidés par la « Loi pour la liberté d’information » des différents États. Ils ont collecté sans relâche de petits détails qui ont mené à la création d’un document qui est très certainement devenu le dossier le plus complet traitant une affaire de blanchiment de cétacé.

Malgré le temps passé à faire des recherches, Visser n’est toujours pas au bout de ses surprises: « Encore maintenant, il y a tout un tas de lois qui doivent être épluchées, et quand on creuse un peu, on découvre le cas de Morgan. » Visser conclut :  « Je n’ai pas abandonné Morgan et les gens qui s’inquiètent de son sort n’ont pas abandonné non plus. Maintenant que nous avons révélé au grand jour ce processus complexe de blanchiment, j’espère que les autorités vont réexaminer son cas car elle ne mérite pas qu’ils la laissent tomber. »

Une analyse détaillée du rapport montre que les différents acteurs se renvoyaient sans cesse la balle (et c’est peut-être encore le cas aujourd’hui) pour savoir qui était légalement « responsable » de Morgan, qui en était le propriétaire légal ou notamment, et surtout, pour savoir si elle pouvait vraiment devenir une propriété.

Le livre blanc témoigne du manque de documents accessibles au public et du manque de transparence général. La secrétaire d’État néerlandaise Sharon Dijksma a même annoncé qu’il lui était impossible de dire qui était le propriétaire de Morgan car cela dépendait « des intentions et des accords entre les parties privées concernées par cette affaire, à savoir le Dolfinarium Harderwijk, le Loro Parque et SeaWorld. » Il s’avère que depuis le début, ces trois sociétés de divertissement réparties sur deux continents ont travaillé ensemble sous les yeux des autorités judiciaires mais aussi parfois en toute discrétion. Toutes trois semblent avoir bénéficié de cet accord partagé.

En 2013, le président et PDG de SeaWorld de l’époque, Jim Atchison, a dû répondre aux questions de la Securities and Exchange Commission (l’organisme fédéral américain de réglementation et de contrôle des marchés financiers) au sujet de l’appropriation de Morgan. Dans sa réponse, il indiquait que SeaWorld en était le propriétaire grâce à un « prêt d’élevage » qui était un accord entre eux et Loro Parque. Cet accord fut signé en 2004 et il était à l’origine prévu pour les quatre orques qui furent envoyées des États-Unis à destination du parc espagnol. Par conséquent, non seulement l’accord a été signé six ans avant la capture de Morgan mais en plus, il ne pouvait pas prédire le maintien en captivité de cette orque. 

Morgan fut transportée au Loro Parque le 29 novembre 2011
Crédit photo: Ingrid Visser / www.freemorgan.org
«SeaWorld joue un double jeu lorsqu’ils évoquent le nombre d’orques leur appartenant  qui vivent au Loro Parque, » d’après Visser. « Les documents qu’ils présentent démontrent sans cesse une différence d’un individu. Quand ces chiffres ne correspondent pas, ce n’est pas comme si SeaWorld venait de faire l’acquisition d’un four à micro-ondes, il s‘agit d’un actif qui possède une grande valeur ajoutée. En affirmant que Morgan leur appartient, ils donnent une image faussée de la valeur réelle de leur société.»

Pour Spiegl, le plus frustrant dans cette affaire est le mépris manifeste du gouvernement des Pays-Bas face à ses obligations d’État envers Morgan en tant que mammifère marin né en liberté ou « res nullius » (qui n’appartient à personne). D’après lui, « Le gouvernement des Pays-Bas avait la responsabilité de s’assurer de son bien-être quand il a autorisé et aidé le Dolphinarium Harderwijk à récupérer Morgan dans la mer des Wadden pour procéder à son sauvetage et lui prodiguer des soins avant de la relâcher. Cette responsabilité n’a pas disparu. Après ces évènements, Morgan aurait dû être placée sous la responsabilité du Royaume des Pays-Bas, et confiée à la société néerlandaise. »

Spiegl et Visser émettent des critiques virulentes à l’encontre de SeaWorld, du Loro Parque et du Dolfinarium Harderwijk, mais mettent en cause aussi les organismes garants: les autorités de gestion espagnoles et néerlandaises de la Convention sur le Commerce International des Espèces de Faune et de Flore Sauvages Menacées d’Extinction (la CITES) ainsi que le Service National de la Pêche Maritime des États-Unis (le NMFS). Une copie du livre blanc a été envoyée à la CITES et au NMFS ainsi qu’à une dizaine d’ autres organismes gouvernementaux, responsables politiques et législateurs en Europe et aux États-Unis.

À ce moment-là, John Scanlon, le Secrétaire Général de la CITES, envoie ses remerciements après réception du livre blanc en déclarant qu’il prenait soigneusement note de l’affaire qui y était étudiée. Le NMFS a également accusé réception du dossier en indiquant qu’une réponse détaillée serait fournie après une consultation et un examen plus poussé avec la Marine Mammal Commission américaine (organisation destinée à la conservation et à l’étude des mammifères marins).

Le livre blanc a également été envoyé au membre de l’Assemblée de Californie Richard Bloom qui a présenté, l’année dernière, la loi novatrice Californian Orca Welfare and Safety Act (Loi de bien-être et de sécurité des orques), ainsi qu’au membre du Congrès Adam Schiff qui a présenté ce mois-ci (novembre 2015, ndt) la loi fédérale Orca Responsibility and Care Advancement(ORCA) aux États-Unis. Ces deux projets de loi sans précédent devraient progressivement mettre un terme à la captivité des orques en interdisant l’exhibition de ces animaux dans un but de divertissement ainsi que les programmes d’élevage d’orques en captivité.

Étant donné que SeaWorld est le propriétaire de toutes les orques, sauf une parmi celles qui sont exhibées aux États-Unis, ces propositions de lois auront un impact important sur le groupe. Elles pourraient également avoir des répercussions sur la situation de Morgan, car, d’après les lois américaines, en tant qu’animal marin appartenant à SeaWorld (si c’est le cas), Morgan ainsi que les autres orques détenues à Loro Parque sont encore sous la législation américaine.

Le permis stipule que Morgan ne peut être utilisée que dans le cadre de la recherche scientifique, mais elle est également utilisée dans des spectacles de divertissement.
Crédit photo: Ingrid Visser / www.freemorgan.org

Pendant toute la durée de la captivité de Morgan, l’opinion générale au sujet des spectacles d’orques a beaucoup évolué. Ce changement semble en grande partie être le résultat de la sortie en 2013 du documentaire Blackfish, salué par la critique et qui a provoqué ce qu’on appelle l’effet Blackfish. Ce documentaire ainsi que d’autres réussites médiatiques ont fait naître une prise de conscience quant à la situation désespérée des orques en captivité et ont même mené à la création de nouvelles réglementations.
L’Europe, centre de la controverse au sujet de Morgan, a été le théâtre d’un changement radical d’attitude à ce sujet. Au cours de l’année 2014, une nouvelle coalition d’organisations et d’individus venant de toute l’Europe et d’autres parties du monde s’est formée et tente de faire bouger les choses en faveur des cétacés captifs au niveau de la politique européenne, nationale et internationale. De plus, deux delphinariums ont récemment fermé leurs portes pour de bon, ce qui prouve une fois de plus que l’opinion du public évolue.

Le dossier de Visser et Spiegl se présente comme une pièce complémentaire à toute une mosaïque de travaux menés à travers le monde dans le but de mettre fin à la captivité des orques. Il porte une attention particulière à la situation délicate dans laquelle peuvent se retrouver les cétacés capturés dans le cadre d’un sauvetage. Le livre blanc lève le voile sur les pratiques potentiellement frauduleuses et à l’éthique contestable d’une industrie qui force des êtres doués de sensibilité à survivre dans des conditions artificielles dans lesquelles, d’après les scientifiques, ils ne peuvent tout simplement pas s’épanouir.

Le docteur Naomi Rose, spécialiste des mammifères marins au sein de l’Animal Welfare Institute (Institut du bien-être animal) est fortement impliquée dans ce travail pour mettre un terme à la captivité des orques (ainsi qu’à celle des autres cétacés) tant en Europe qu’aux États-Unis. A propos  des cétacés qui ont été sauvés à l’instar de Morgan, Rose explique: « Cela fait des décennies que l’industrie du divertissement et de la captivité de mammifères marins opère presque impunément quand il s’agit de décider quand un cétacé capturé ne peut être relâché. Cela a conduit au fil des années à l’augmentation du nombre d’animaux détenus pour les spectacles alors qu’à l’origine, ils ont été récupérés car ils s’étaient échoués ou  étaient victimes d’autres situations qui nécessitaient une intervention humaine. »

Rose explique que l’industrie des parcs s’est emparée d’une partie de ces animaux sauvés qui étaient censés être relâchés car leurs programmes d’élevages en captivité nécessitent un apport de nouveaux gènes. « Le cas de Morgan est classique, » selon Rose. « Son sauvetage était légitime mais au lieu de la considérer comme presque tous les autres animaux sauvages (terrestres comme marins) qui ont été secourus, l’affaire a été manipulée par l’industrie et avec la complicité des autorités néerlandaises, espagnoles et américaines (même si elles ne l’étaient que de par leur inaction), pour que Morgan puisse être envoyée et exhibée  à  Loro Parque et participer au programme de reproduction d’orques captives, alors qu’elle remplissait toutes les conditions pour être relâchée après avoir été soignée. Mais le pire, c’est qu’elle a fini par devenir la propriété commerciale d’une société américaine alors qu’elle a été sauvée en Europe sous l’égide des lois européennes. »

D’après une étude menée par le spécialiste de l’industrie des loisirs Dennis Speigel (aucun lien avec l’auteur du livre blanc), chaque orque de SeaWorld vaudrait entre 15 et 20 millions de dollars américains (soit entre 13,5 et 18,5 millions d’euros.) Par conséquent, si Morgan vaut autant d’argent et si elle donne naissance à 2.8 petits (ce qui correspond au nombre moyen de naissances données par les orques femelles à SeaWorld dans leur vie) alors l’estimation de la valeur de l’actif de Morgan pour SeaWorld et ses actionnaires s’élève à presque 60 millions de dollars, soit 55 millions d’euros. Ce chiffre ne prend pas en compte la valeur d’une lignée entièrement nouvelle dans programme d’élevage de SeaWorld.

« Morgan est passée entre les mailles du filet et ce n’est pas la première fois que ça arrive, » d’après Rose. « C’est simplement le cas le plus évident ces dernières années et avec leur livre blanc, le docteur Visser et Mr. Spiegl ont fait un travail impressionnant qui étudie l’affaire dans ses moindres recoins pour montrer comment cela peut avoir lieu, » ajoute-t-elle. « Qu’on ne s’y trompe pas, l’utilisation de Morgan par le parc espagnol dans des spectacles lucratifs et dans le cadre d’un programme d’élevage, tout ça au nom de SeaWorld Entertainment aux États-Unis n’est certainement pas le résultat d’un processus légal bien défini, mais le résultat d’un manque d’attention et de l’apathie de toutes les autorités concernées. »

Morgan est constamment suivie par un mâle à Loro Parque
Crédit photo: Ingrid Visser / www.freemorgan.org

Alors que peut faire ce livre blanc dans l’intérêt de cette petite orque victime d’un blanchiment? Dans l’immédiat, Morgan pourrait être protégée des tentatives de Loro Parque de la faire s’accoupler avec l’un de ses mâles matures. Le permis qui autorise le parc espagnol à détenir Morgan stipule qu’elle ne peut être utilisée que pour la recherche scientifique, ce qui exclut de s’en servir dans un but d’élevage. En dépit de cela, le Loro Parque a intentionnellement placé Morgan en compagnie d’une orque adulte mâle appartenant à SeaWorld qui a non seulement déjà engendré deux petits mais qui, comme Tilikum (qui est présenté dans Blackfish), a aussi tué un dresseur.

La révélation dans le livre blanc du blanchiment d’un animal, pratique qui est toujours d’actualité dans l’industrie de la captivité de cétacés pour le loisir, pourrait avoir d’autres conséquences sur le long-terme pour Morgan, ainsi que pour d’autres cétacés qui ont été capturés dans le cadre d’un sauvetage. Spiegl, qui considère que Morgan mérite d’être relâchée, a déclaré: « On ne devrait pas laisser le champ libre à SeaWorld, au Loro Parque et au Dolfinarium Harderwijk sur la base d’affirmations infondées selon lesquelles il n’y avait aucune autre option possible pour Morgan que celle de l’envoyer au Loro Parque. Il y avait bel et bien d’autres options et le fait qu’on ne les a pas examinées ou parce qu’elles ont été ignorées à cause de fausses informations répandues par les parcs concernés, qui ont cherché à mettre à profit la captivité permanente de Morgan, n’est pas une excuse valable. »

Spiegl poursuit: « Même si quelque chose d’irréversible se produit, par exemple, si Morgan est gestante et met bas, les trois parcs ne doivent pas pouvoir profiter d’actes perpétués en toute illégalité. » Spiegl reste ferme sur le fait que les lois et les réglementations doivent être analysées et renforcées dans le but de protéger les animaux sauvages et non pour avantager l’industrie. Il ajoute: « Ces actions frauduleuses doivent avoir des conséquences, sans quoi les lois n’ont aucun intérêt. »

Visser et Spiegl pensent tous deux que si l’enquête qu’ils réclament révèle que les lois et les règlementations en vigueur ont été enfreintes, SeaWorld, le Loro Parque et le Dolfinarium Harderwijk, tous trois ayant visiblement profité financièrement de Morgan doivent être considérés comme responsables et être amenés à payer. Dans ce cas, les trois parcs devraient assumer les responsabilités et couvrir les frais du rapatriement de Morgan pour la relâcher, comme l’indique l’Office des Nations Unies Contre la Drogue et le Crime (UNODC). D’après l’UNODC, qui appartient à l’International Consortium on Combating Wildlife Crime (Le Consortium International pour combattre les crimes contre les animaux sauvages) aux côtés d’INTERPOL, de la Banque Mondiale, de l’Organisation mondiale des douanes et de la CITES, « Il faut prendre en considération le rapatriement d’animaux vivants vers leur pays d’origine (…) et les tribunaux doivent imposer aux coupables de prendre en charge les frais occasionnés. »

« Au moment où Morgan a été transférée au Loro Parque, elle était disposée à être soignée puis relâchée, pourtant, on l’a laissée dépérir dans un aquarium en béton, » a déclaré Visser qui a travaillé pour rendre à l’orque sa liberté depuis le jour où elle a été capturée. « Morgan est l’exemple typique qui montre tout ce qui ne tourne pas rond avec les entreprises commerciales qui organisent ces soi-disant ‘sauvetages’ et qui exploitent les animaux pour le profit. »

Que va t-il advenir de Morgan? D’après Spiegl: « Maintenant, la balle est dans le camp des autorités nationales et internationales. Il est de leur devoir de coopérer et d’agir de façon coordonnée. Nous avons fait notre part du travail pour rassembler les pièces du puzzle, nous avons compilé les recherches historiques, identifié les lois en vigueur et présenté les faits pertinents. Il ne manque plus qu’une pièce à mettre en place, et nous pouvons tous voir où elle est supposée s’insérer: dans le passage à l’action. »

Un remerciement tout spécial à Alexandra pour cette traduction.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *